Apartheid : Les réformés regrettent
22 avril 2004
A travers trois études sur le sujet, la Fédération des Eglises protestantes de Suisse (FEPS) ausculte le passé de ses relations avec l’Afrique du Sud et bat sa coulpe : Trop soucieuse de préserver sa neutralité et une bonne relation avec les milieux financiers, elle n’a jamais clairement condamné le régime de ségrégation raciale
L’Afrique du Sud vote en ce moment. Et fête du même coup le dixième anniversaire de ses premières élections libres, après un demi siècle d’apartheid. Trois études le confirment : Durant cette période, la Fédération des Eglises protestantes de Suisse (FEPS) a préservé une bonne entente avec les milieux financiers et conservateurs helvétiques plutôt que de prendre le risque de condamner ouvertement le régime de ségrégation raciale. Ou pour le dire avec les mots de Lukas Zürcher, auteur d’un travail de licence sur la période de 1970 à 1990 : Elle a « préféré un exercice d’équilibrisme entre Evangile et raison d’Etat, au détriment d’une position prétendument prophétique qui aurait pu heurter les milieux économiques et les autorités ».Médiation sans issueC’est en 2001, de retour d’un voyage dans la patrie de Nelson Mandela, que la FEPS s’est engagée dans un courageux travail de mémoire. Aujourd’hui, le président de son Conseil, Thomas Wipf, exprime ses regrets. « La FEPS s’est trop longtemps confinée dans un rôle de médiateur. Elle a manqué le seuil à partir duquel il n’y avait plus d’autre solution possible qu’une prise de position déterminée. Elle s’est trop engagée dans la voie des bons offices et de la réconciliation, accordant trop peu d’attention et de soutien aux victimes de l’apartheid et à ceux qui, au sein de nos Eglises, protestaient contre cette injustice ». Parmi eux, de nombreux représentants de communautés cantonales, mais surtout de différentes organisations d’entraide et de mission, dont la pugnacité a ponctuellement permis d’infléchir la politique de neutralité adoptée par la FEPS. « Comme la société suisse à cette époque, la FEPS était en fait profondément divisée sur l’attitude à adopter », note encore Lukas Zürcher.
Alors que le Conseil œcuménique des Eglises (COE) propose un programme radical de défense des droits de l’homme avec des mesures de sanction et de boycott en cas de non respect, la FEPS choisit une attitude « beaucoup plus floue ». Plus tard, entre 1976 et 1982, elle joue le rôle de médiateur entre les Eglises afrikaners liées à l’Etat et les Eglises d’opposition. Durant cette période, elle ne porte aucun jugement, ne prononce pas de condamnation de l’apartheid, résolue à demeurer dans un « questionnement autocritique et humble ». En 1982, elle refuse d’entériner le document « status confessionis » de l’Alliance réformée mondiale, qui estime que l’apartheid est contraire à l’Evangile et que sa justification théologique est une hérésie. Pas un mot non plus de sa direction lorsque la plupart des Eglises chrétiennes d’Afrique du Sud signent, au milieu des années 80, le fameux document « Kaïros », appel à la résistance envers l’injustice. Pour Lukas Zürcher, pas de doute : « Cette réserve prudente est liée à la volonté de démontrer aux milieux économiques l’ouverture des Eglises à leur égard. Pour les responsables de la FEPS, il était incontestablement difficile de ne pas faire cas des majorités nettement conservatrices des assemblées des délégués ».Parler d’une seule voixIl y a bien eu, entre 1986 et 1989, des rencontres entre les milieux bancaires et une délégation œcuménique dans le but de discuter des relations entre les banques helvétiques avec le régime de Prétoria. Certes, admet Christoph Weber-Berg qui a dépouillé les procès-verbaux de ces entretiens, le simple fait d’amener les établissements bancaires à la table de négociation fut considéré comme un geste de soutien explicite par les Eglises partenaires en Afrique du Sud. Pourtant, non seulement cette délégation n’a rien obtenu, « mais sa position était affaiblie par le fait que ni le conseil de la FEPS ni la Conférence des évêques ne lui avaient octroyé les moyens de faire pression ». Ainsi, lorsque certains membres proposent de menacer les banques d’un retrait des avoirs ecclésiastiques, ils se heurtent au refus d’entrée en matière de la part de leurs hiérarchies.
Bref, comme le reconnaît Thomas Wipf, la FEPS a laissé passer « une opportunité de participer, aussi bien en Suisse qu’en Afrique du Sud, à une transformation sociale nécessaire ». Pour éviter qu’un tel manquement se reproduise, le responsable des relations extérieures de la FEPS Gottfried Locher a indiqué plusieurs mesures, parmi lesquelles l’intention d’élaborer « des lignes directrices théologiques et éthiques pour la politique extérieure », d’améliorer la coordination avec les oeuvres d’entraide, et de « donner davantage de force à la collaboration au sein du protestantisme suisse ». Un dernier point que l’on sait sensible au sein du monde réformé helvétique soucieux de ses autonomies cantonales.
Alors que le Conseil œcuménique des Eglises (COE) propose un programme radical de défense des droits de l’homme avec des mesures de sanction et de boycott en cas de non respect, la FEPS choisit une attitude « beaucoup plus floue ». Plus tard, entre 1976 et 1982, elle joue le rôle de médiateur entre les Eglises afrikaners liées à l’Etat et les Eglises d’opposition. Durant cette période, elle ne porte aucun jugement, ne prononce pas de condamnation de l’apartheid, résolue à demeurer dans un « questionnement autocritique et humble ». En 1982, elle refuse d’entériner le document « status confessionis » de l’Alliance réformée mondiale, qui estime que l’apartheid est contraire à l’Evangile et que sa justification théologique est une hérésie. Pas un mot non plus de sa direction lorsque la plupart des Eglises chrétiennes d’Afrique du Sud signent, au milieu des années 80, le fameux document « Kaïros », appel à la résistance envers l’injustice. Pour Lukas Zürcher, pas de doute : « Cette réserve prudente est liée à la volonté de démontrer aux milieux économiques l’ouverture des Eglises à leur égard. Pour les responsables de la FEPS, il était incontestablement difficile de ne pas faire cas des majorités nettement conservatrices des assemblées des délégués ».Parler d’une seule voixIl y a bien eu, entre 1986 et 1989, des rencontres entre les milieux bancaires et une délégation œcuménique dans le but de discuter des relations entre les banques helvétiques avec le régime de Prétoria. Certes, admet Christoph Weber-Berg qui a dépouillé les procès-verbaux de ces entretiens, le simple fait d’amener les établissements bancaires à la table de négociation fut considéré comme un geste de soutien explicite par les Eglises partenaires en Afrique du Sud. Pourtant, non seulement cette délégation n’a rien obtenu, « mais sa position était affaiblie par le fait que ni le conseil de la FEPS ni la Conférence des évêques ne lui avaient octroyé les moyens de faire pression ». Ainsi, lorsque certains membres proposent de menacer les banques d’un retrait des avoirs ecclésiastiques, ils se heurtent au refus d’entrée en matière de la part de leurs hiérarchies.
Bref, comme le reconnaît Thomas Wipf, la FEPS a laissé passer « une opportunité de participer, aussi bien en Suisse qu’en Afrique du Sud, à une transformation sociale nécessaire ». Pour éviter qu’un tel manquement se reproduise, le responsable des relations extérieures de la FEPS Gottfried Locher a indiqué plusieurs mesures, parmi lesquelles l’intention d’élaborer « des lignes directrices théologiques et éthiques pour la politique extérieure », d’améliorer la coordination avec les oeuvres d’entraide, et de « donner davantage de force à la collaboration au sein du protestantisme suisse ». Un dernier point que l’on sait sensible au sein du monde réformé helvétique soucieux de ses autonomies cantonales.