L’Entraide protestante suisse accueille les clandestines latino-américaines
27 février 2004
A Genève, des femmes en situation illégale se retrouvent tous les dimanches dans une salle paroissiale genevoise
Déracinées, elles échangent des conseils tissent des liens et parlent de ceux qu'elles ont laissé au pays.Sur la porte d’entrée, aucune mention de la réunion. La discrétion est de mise. On se transmet l'adresse de ce rendez-vous par le bouche à oreille. Une femme, puis une autre, poussent la porte d’entrée de la salle paroissiale.
Dans le sous-sol de cette église genevoise dont nous tairons le nom pour assurer l'anonymat des clandestines, on s’agite en cuisine pour préparer le repas. "Rien n'est encore prêt, revenez dans une dizaine de minutes », demande Maria aux femmes au sortir du culte qui a eu lieu au-dessus. « Holà, quetal ?», Christina, une longue chevelure noir foncé, salue ses amies et rejoint la file indienne qui s’est formée devant la cuisine. Le royaume des femmes seulesUne quarantaine de personnes s'assoient autour des tables. Celles qui sont arrivées en avance réservent des places pour leurs copines et commencent à manger. «Seigneur, bénissez cette nourriture », chuchote Dolorès. Ses voisines de table se passent la sauce au piment qui accompagne le « lechon », un plat bolivien à base de poulet. Les discussions en espagnol s’animent. Une petite fille navigue entre les tables. Ici, les enfants sont aussi rares que les hommes. Celles qui sont mères ont laissé leurs enfants aux pays. Le regard d’Ana s’illumine quand elle parle de sa fille. « Je préfère qu’elle reste en Bolivie », se justifie-t-elle. Elle décline l’éventail des raisons qui l’ont décidée à faire ce choix. Elle n’aurait pas le temps de s’en occuper. Elle ne gagne pas assez d’argent ou encore son appartement est trop petit. Le regard dans le vide, le début d’un sourire sur les lèvres, elle projette de partir en vacances dans son pays. Debout derrière elle, Maria s’approche et pose sa main sur la sienne : « Courage, c’est pour bientôt ». Les jours de relâche, l’absence de leur famille est encore plus dure à vivre. Entre silence et brouhahaEn bout de table une femme, les traits tirés, mange avec concentration. De temps en temps, elle lève la tête pour écouter les convives. En face d’elle, Eva est beaucoup plus loquace. « Irina, il faut que je te parle du permis de séjour », intervient-elle avec de grands gestes. Mandatée par l’Entraide protestante suisse, Irina anime la permanence tous les dimanches. Elle conseille celles qui sont confrontées à des problèmes professionnels ou médicaux. Eva est arrivée en Suisse il y a neuf mois. Elle espère encore pouvoir régulariser sa situation et obtenir un permis de travail. Elle ne comprend pas pourquoi on refuse de régulariser les clandestins. La fourchette en l’air, elle prend à témoin ses voisines de table. Pour elle, les clandestins régularisés rapporteraient des impôts au gouvernement suisse. La plaidoirie d’Eva ne suscite aucune réactionde sa voisine. Elle finit rapidement son assiette, se lève et quitte la salle. Les astuces pour s’en sortir« Moi aussi, je travaille chez une Madame », confie Ana. Depuis un an et demi, elle astique la maison d’une famille et prend soin des enfants. Les conditions de travail chez ses patrons ne sont pas mauvaises. Elle affiche l’assurance de celles qui sont ici depuis plus d’une année. Si elle devait avoir des problèmes avec ses patrons, elle irait au Syndicat interprofessionnel des travailleuses et travailleurs (SIT). « C’est dans la vieille ville », ajoute-t-elle pour bien montrer que ce n’est pas des paroles en l’air. Et si elle tombait malade ? La réponse fuse : « J’irais à la permanence pour les clandestins ». Ana a un bel aplomb. Mais, elle avoue quand même une faiblesse : « Je ne parle pas le français ». Silencieuse jusqu’ici, Irina dégaine son classeur. Au milieu des nombreuses cartes de visite des services qui s’occupent des clandestins, l’une d’entre elles propose des cours de français. Sa voisine jette un coup d’œil. « Avec le travail, je n'ai pas toujours le temps et l’énergie d’aller à des cours », confesse-t-elle en s’excusant. Irina lui assure que ce n’est pas grave si elle ne les suit pas régulièrement. La jeune Bolivienne glisse la carte dans son sac à main. La nuit commence à tomber. « Hasta luego », les petits groupes de femmes qui quittent la salle espèrent se revoir la semaine prochaine. Si elles ont congé et si elles sont toujours en Suisse !
Dans le sous-sol de cette église genevoise dont nous tairons le nom pour assurer l'anonymat des clandestines, on s’agite en cuisine pour préparer le repas. "Rien n'est encore prêt, revenez dans une dizaine de minutes », demande Maria aux femmes au sortir du culte qui a eu lieu au-dessus. « Holà, quetal ?», Christina, une longue chevelure noir foncé, salue ses amies et rejoint la file indienne qui s’est formée devant la cuisine. Le royaume des femmes seulesUne quarantaine de personnes s'assoient autour des tables. Celles qui sont arrivées en avance réservent des places pour leurs copines et commencent à manger. «Seigneur, bénissez cette nourriture », chuchote Dolorès. Ses voisines de table se passent la sauce au piment qui accompagne le « lechon », un plat bolivien à base de poulet. Les discussions en espagnol s’animent. Une petite fille navigue entre les tables. Ici, les enfants sont aussi rares que les hommes. Celles qui sont mères ont laissé leurs enfants aux pays. Le regard d’Ana s’illumine quand elle parle de sa fille. « Je préfère qu’elle reste en Bolivie », se justifie-t-elle. Elle décline l’éventail des raisons qui l’ont décidée à faire ce choix. Elle n’aurait pas le temps de s’en occuper. Elle ne gagne pas assez d’argent ou encore son appartement est trop petit. Le regard dans le vide, le début d’un sourire sur les lèvres, elle projette de partir en vacances dans son pays. Debout derrière elle, Maria s’approche et pose sa main sur la sienne : « Courage, c’est pour bientôt ». Les jours de relâche, l’absence de leur famille est encore plus dure à vivre. Entre silence et brouhahaEn bout de table une femme, les traits tirés, mange avec concentration. De temps en temps, elle lève la tête pour écouter les convives. En face d’elle, Eva est beaucoup plus loquace. « Irina, il faut que je te parle du permis de séjour », intervient-elle avec de grands gestes. Mandatée par l’Entraide protestante suisse, Irina anime la permanence tous les dimanches. Elle conseille celles qui sont confrontées à des problèmes professionnels ou médicaux. Eva est arrivée en Suisse il y a neuf mois. Elle espère encore pouvoir régulariser sa situation et obtenir un permis de travail. Elle ne comprend pas pourquoi on refuse de régulariser les clandestins. La fourchette en l’air, elle prend à témoin ses voisines de table. Pour elle, les clandestins régularisés rapporteraient des impôts au gouvernement suisse. La plaidoirie d’Eva ne suscite aucune réactionde sa voisine. Elle finit rapidement son assiette, se lève et quitte la salle. Les astuces pour s’en sortir« Moi aussi, je travaille chez une Madame », confie Ana. Depuis un an et demi, elle astique la maison d’une famille et prend soin des enfants. Les conditions de travail chez ses patrons ne sont pas mauvaises. Elle affiche l’assurance de celles qui sont ici depuis plus d’une année. Si elle devait avoir des problèmes avec ses patrons, elle irait au Syndicat interprofessionnel des travailleuses et travailleurs (SIT). « C’est dans la vieille ville », ajoute-t-elle pour bien montrer que ce n’est pas des paroles en l’air. Et si elle tombait malade ? La réponse fuse : « J’irais à la permanence pour les clandestins ». Ana a un bel aplomb. Mais, elle avoue quand même une faiblesse : « Je ne parle pas le français ». Silencieuse jusqu’ici, Irina dégaine son classeur. Au milieu des nombreuses cartes de visite des services qui s’occupent des clandestins, l’une d’entre elles propose des cours de français. Sa voisine jette un coup d’œil. « Avec le travail, je n'ai pas toujours le temps et l’énergie d’aller à des cours », confesse-t-elle en s’excusant. Irina lui assure que ce n’est pas grave si elle ne les suit pas régulièrement. La jeune Bolivienne glisse la carte dans son sac à main. La nuit commence à tomber. « Hasta luego », les petits groupes de femmes qui quittent la salle espèrent se revoir la semaine prochaine. Si elles ont congé et si elles sont toujours en Suisse !