A Bombay, Shafique Keshavjee il éprouve les thèses de son dernier roman
22 janvier 2004
Du 16 au 21 janvier, le romancier et théologien Shafique Keshavjee participait au Forum social mondial de Bombay en Inde
Cet auteur à succès avait l’occasion de confronter le propos de son dernier roman sur la mondialisation, “La princesse et le prophète”, avec les débats de ce gigantesque rassemblement altermondialiste de plus de 100’000 personnes. Bilan.Comment avez vous vécu votre première participation au Forum social mondial?SK – Je l’ai vécue avec beaucoup d’intensité. Les émotions suscitées par les propos et les rencontres ont été très fortes. Voir autant de gens, d’autant de pays différents, exprimer leurs préoccupations et leurs souffrances et proposer avec force des perspectives nouvelles a été extraordinairement stimulant.Beaucoup de slogans ont été lancés durant ce forum. Le leader paysan francais, José Bové, a par exemple scandé : “Coca-Cola, Nestlé, quittez nos vies!” Qu’en avez-vous pensé? SK- Dans un premier temps, j’essaie de prendre cette revendication au sérieux. Des représentants syndicaux ont réfléchi aux problèmes de l’agriculture et de l’alimentation au niveau de la planète et ils concluent que les multinationales nous dépouillent. Cette souffrance, on l’a entendue. Dans le cadre de l’exposition du forum, j’ai eu l’occasion de rencontrer des Népalais. Sur leur stand, ils avaient une machine Nescafé. Après discussion avec eux, ils ont relevé qu’ils ne voyaient pas de contradictions entre la consommation de ce type de café et leur engagement syndical. Ils affirmaient même avoir besoin des multinationales pour découvrir de nouvelles technologies et bénéficier du savoir-faire qui est le leur. Ce propos était assorti d’une condition: il faut que la venue de ces grands groupes bénéficie à l’ensemble du pays et pas seulement à une petite minorité. Ce que je retiens de ces deux points de vue, c’est que les prises de décision ne doivent pas incomber uniquement aux dirigeants des multinationales ou aux gouvernements. Les populations doivent être consultées. Et si les solutions trouvées ne sont pas bonnes, alors il faut les contester. Le discours dominant des partisans de la mondialisation vise trop à rentabiliser le capital et pas assez à se soucier des préoccupations sociales des populations. Pour construire un autre monde, cette attitude devrait changer.N’avez-vous pas l’impression de développer un discours par trop idéaliste?SK- Effectivement, cette capacité en nous et en dehors de nous d’engloutir les autres et de les dominer fait preuve d’une extraordinaire vitalité. La domination est la loi du monde. On doit pourtant se dire: elle existe mais on doit y résister! C’est peut-être une utopie, mais dans cette démarche je suis bien accompagné. Par Jésus qui invitait à un changement de mentalité, et par le Mahatma Gandhi. Ce dernier considérait que les forts pouvaient être éveillés à une autre vision du monde par la non-violence et par une résistance forte qui confronte ceux qui ont le pouvoir et qui en abuse, en espérant qu’un changement est possible.En venant a Bombay, au moment de la publication de votret votre roman sur la mondialisation, c’était l’occasion d’ éprouver certaines de vos affirmations. Comment sortez-vous de ce passage sur le grill? SK - Je suis heureux de voir que ce que j’ai écrit se trouve largement confirmé par ce que j’ai vu et entendu à l’occasion de ce forum. Avant de venir, je me demandais avec une certaine appréhension si ce que j’avais écrit à propos de la mondialisation et de Bombay tenait la route. Shafique Keshavjee, “La princesse et le prophète” , Paris, Le Seuil, 2004.