Le verre de trop!

© iStock
i
© iStock

Le verre de trop!

usages
La Croix-Bleue conseille et accompagne les personnes ayant une relation problématique avec l’alcool. Fondée en Suisse romande par le pasteur Louis-Lucien Rochat à la fin du XIXe siècle, elle est aujourd’hui active dans près de 40 pays à travers le monde. Elle consacre une grande partie de ses efforts à la prévention.

En Suisse, l’alcool fait partie des mœurs. Il occupe une place prépondérante dans la vie sociale. Que serait l’apéritif, un dîner festif ou une fête du village sans un verre d’œil-de-perdrix, un bon pinot noir ou un mojito fraise? La toute prochaine Fête des vignerons qui aura lieu cet été à Vevey (VD) témoigne d’un attachement tout particulier au vin qui fait partie intégrante de la culture suisse romande.

Dès lors, difficile pour une personne qui rencontre des difficultés avec l’alcool d’échapper à la tentation si elle ne dispose pas de repères pour éviter qu’un petit verre ne débouche sur des excès difficiles à maîtriser. «La Croix-Bleue romande ne se positionne pas comme étant contre l’alcool. Sa mission est de venir en aide à toute personne qui vit une relation problématique avec lui», explique Romain Kohler, secrétaire général de la CroixBleue Suisse romande. Pour lui, les personnes qui souffrent d’alcoolisme sont prises dans un cercle vicieux duquel il est difficile de sortir sans aide extérieure. «Pour certaines d’entre-elles qui ont fait le choix de s’éloigner de la consommation, une seule goutte peut provoquer une rechute avec un impact significatif», ajoute-t-il. Bien que la consommation contrôlée soit une démarche qui rencontre un certain succès, pour certaines personnes l’abstinence est le seul moyen de se sortir de l’emprise de l’alcool. Cette méthode, qui fait partie intégrante des valeurs de la Croix-Bleue depuis sa création en 1877, contribue à lui donner une image moralisatrice. 

L'aide d'une puissance supérieure

L’accompagnement proposé par l’organisation prend en compte tous les aspects de la personne, biologique, psychologique, sociologique et même spirituel. Son fondateur était convaincu que la guérison ne pouvait se faire sans l’intervention d’une puissance supérieure à laquelle il fallait se remettre pour sortir de l’alcoolisme. «Nous sommes très attachés à ces valeurs tout en nous adaptant constamment aux évolutions de la société. Un jour, quelqu’un a parlé de la Croix-Bleue en faisant la comparaison avec un pommier d’un âge respectable: l’ancienneté de l’arbre ne l’empêche pas de porter de ‹jeunes› fruits», complète Romain Kohler.

Prévention ciblée

Les jeunes font l’objet de campagnes de prévention particulières de la Croix-Bleue. «Ils ont plus de risques de développer une dépendance envers l’alcool, du fait les organes, notamment le cerveau n’arrive à maturité que vers l’âge de 25 ans. Si une habitude s’installe très jeune, le corps s’accoutume et il devient difficile de s’en défaire», précise Astrid Engeström, responsable prévention à la Croix-Bleue romande. Bien que la consommation diminue chez les jeunes, tout comme dans l’ensemble de la population, de nouveaux comportements préoccupent la responsable prévention: «On observe que le ‹binge drinking› ou ‹biture express› est très à la mode.» Une tendance qui peut conduire à des comas éthyliques, à des troubles physiques et psychiques ainsi qu’à des conduites sexuelles à risque et des accidents de la route.

Retraités pas en reste

Dernièrement, les personnes âgées bénéficient d’une attention toute particulière. «La capacité à assimiler l’alcool ingéré diminue en raison du vieillissement. Si vous ajoutez le fait qu’elles prennent parfois des médicaments, cela peut vite devenir problématique», précise Astrid Engeström. Le passage à la retraite est souvent un moment clé qui peut déboucher sur une augmentation de la consommation. Les jeunes retraités disposent de plus de temps libre qu’il leur faut apprivoiser. Alors qu’auparavant, la plupart de leurs contacts sociaux se faisaient autour d’un verre, il leur est parfois nécessaire de pouvoir s’en passer. Bien que «avancer en âge» rime souvent avec «sagesse», il ne faut pas oublier que les nouvelles générations de retraités sont plutôt rock ’n roll.

L'alcool, fléau du XIXe siècle

HISTOIRE Bien que les récits d’ivresse remontent à la Genèse, c’est au cours du XIXe siècle que le problème de l’alcoolisme va naître. Les nouvelles techniques de fabrication et de conservation des boissons alcooliques et le développement du réseau de chemin de fer rendent les breuvages bien plus accessibles. L’eau-de-vie est à la portée de tous à la suite de la suppression des taxes cantonales.

Un produit miracle

«A l’époque, rien ne se fait, rien ne se traite, rien ne discute sinon le verre à la main. Qu’il faille se rafraîchir ou se réchauffer, se soutenir dans un effort au travail ou s’égayer dans les heures de loisir, écarter des soucis ou s’éclaircir les idées, c’est toujours au vin qu’on recourt*.» Durant la première moitié du XIXe, on pense même que se passer d’alcool serait nocif pour la santé. Cette consommation devient rapidement problématique. Elle touche particulièrement les populations défavorisées des milieux ruraux et la classe ouvrière, alors en plein essor en ce siècle d’industrialisation. Un grand nombre d’ouvriers dépensent leur paie dans les restaurants et cabarets, dont le nombre explose, grevant ainsi le budget du ménage. Les comportements violents dus à l’alcool se multiplient et de nouvelles formes de maladie voient le jour. Lors d’un séjour en Angleterre en 1876, le pasteur Louis-Lucien Rochat est surpris, presque choqué, de voir des personnes prendre la sainte cène avec du vin non fermenté. On lui explique que pour des personnes ayant un problème avec l’alcool, c’est le seul moyen de ne pas rechuter. 

Un fléau en Suisse aussi

De retour en Suisse, il réalise l’ampleur du problème et décide de combattre ce fléau. Il se lance tout d’abord dans la création d’une société de tempérance destinée à sensibiliser aux excès de l’alcool. Les résultats mitigés de cette approche le pousseront à adopter le principe d’abstinence pour accompagner les personnes alcooliques, cela deviendra une spécificité de la Croix-Bleue qui verra officiellement le jour en 1877.

Réception mitigée

L’opinion publique reste très réfractaire à cette démarche qu’elle juge comme trop fanatique, alors que certains mouvements anti-alcooliques vont jusqu’à envisager la prohibition. Rapidement, il trouve des membres issus de différents corps de métier, au total 2231 personnes se rallieront à la cause. La catégorie la plus représentée est celle des horlogers, graveurs et bijoutiers issus principalement de l’Arc jurassien. La seconde place revient aux agriculteurs. On recense 47 pasteurs et 38 vignerons! Des restaurants sans alcool voient le jour suscitant une certaine incompréhension. Les signataires de la Croix-Bleue seront souvent raillés, voire carrément boycottés. Un boulanger perdra une partie de sa clientèle à la suite de son adhésion. Certains diront: «S’il se passe de vin, je me passerai de pain!» Parmi les combats les plus notables de la Croix-Bleue figure celui de l’interdiction de l’absinthe, considérée comme l’alcool qui rend fou, voté par le peuple en 1908. Un pas de plus dans la lutte générale contre les spiritueux. A l’époque, les organisations de lutte contre l’alcoolisme faisaient la différence entre les boissons fermentées comme le vin et la bière et les alcools distillés

*Extrait du livre Un pionnier, L.-L. Rochat paru en 1943

i
L’interdiction de l’absinthe a été un combat de la Croix-Bleue. Perçue comme moralisatrice l’organisation est caricaturée dans cette illustration d’Albert Gantner, parue dans le journal satirique genevois Guguss en 1910.
Albert Gantner

POUR EN SAVOIR PLUS 

Addiction et spiritualité

LIVRE Basé sur son expérience de chef de service psychiatrique du CHUV, Jacques Besson pose une réflexion sur la dimension spirituelle dans le traitement des dépendances. Retrouvez son interview en ligne sous www.pin.fo/besson. Addiction et spiritualité, Jacques Besson, Editions Erès, 2017, 160p.

Alcool et société

REVUE La Croix-Bleue suisse romande publie deux fois par année le journal Exister qui aborde les problèmes liés à l’alcool sous différents aspects. Il est disponible, tout comme de nombreuses autres informations, sur le site www.croix-bleue.ch.

Permanence téléphonique

AIDE La ligne SOS alcool de la Croix-Bleue est à disposition 24h sur 24 au 0848 805 005 (tarif local).

Quelques références

BIBLIOGRAPHIE Benoist Simmat, Daniel Casanova, L’incroyable histoire du vin, de la Préhistoire à nos jours, Les Arènes BD, 2018. Evelyne Malnic, Le vin & le sacré, à l’usage des hédonistes, croyants et libres-penseurs, Editions Féret, 2015. Paul Ariès, Une histoire politique de l’alimentation, Editions Max Milo, 2016.

Fête des vignerons

SPECTACLE Les chiffres donnent le tournis ! 5500 acteurs-figurants, 850 chanteurs, 300 enfants choristes pour vingt représentations devant 20 000 spectateurs ! Inscrite au patrimoine culturel immatériel de l’UNESCO, la fête a lieu du 18 juillet au 11 août à Vevey. www.fetedesvignerons.ch.