Les métiers de relations touchés par la souffrance au travail

@ iStock/ Fang Xia Nuo
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@ iStock/ Fang Xia Nuo

Les métiers de relations touchés par la souffrance au travail

Santé
Devoir maîtriser ses émotions, ne pas pouvoir séparer vie privée et vie professionnelle, ne plus trouver de sens dans ce que l’on fait, autant de facteurs qui en s’accumulant peuvent mener au burnout.

«Le travail c’est la santé», chantait Henri Salvador. Un adage que pourraient reprendre à leur compte Irina Guseva Canu et Lysiane Rochat, toutes deux spécialistes de la santé au travail. Les études montrent en effet, que les personnes ayant un emploi se portent mieux que les autres catégories de personnes. «Il faut être conscient qu’il y a des biais dans ces études, puisqu’il est aussi plus facile de trouver un travail quand on est en forme, mais il ressort tout de même que le travail est un facteur protecteur de la santé», développe Lysiane Rochat. C’est toutefois la prévention et la détection des risques professionnels ainsi que la réhabilitation des employés atteints dans leur santé qui occupent les deux spécialistes.

Irina Guseva Canu
épidémiologue, toxicologue, professeure associée UNIL et cheffe du secteur académique au département «Santé au travail et environnement» d’Unisanté*.

Lysiane Rochat
psychologue spécialiste en santé au travail, Unisanté*

*Centre universitaire de médecine générale et santé publique, Lausanne

Si les employeurs maîtrisent généralement bien les risques physiques et chimiques auxquels peuvent être exposés leurs employés, plus rares sont ceux, surtout dans les petites structures, qui sont équipés pour faire face aux dangers psychologiques. «Même si les chercheurs peinent à se mettre d’accord sur une définition commune, on a beaucoup parlé du burnout», reconnaît Irina Guseva Canu. «C’est aussi parce que c’est un mal socialement valorisé: c’est la maladie du battant qui s’est épuisé en donnant tout pour son travail!» Mais le mal-être professionnel peut aussi prendre des formes différentes: troubles musculosquelettiques, maladies cardiovasculaires, troubles de la nutrition ou du sommeil, par exemple. 

Brider ses émotions

«On étudie le burnout depuis 45 ans environ. Les premiers métiers étudiés sont les soignants, les enseignants, les travailleurs sociaux ou humanitaires», énumère Irina Guseva Canu. «Ce sont principalement des métiers où l’on fait face à un public dans une relation assymétrique. Cela oblige le professionnel à maîtriser ses émotions», complète-t-elle. Mais les deux professionnelles sont unanimes: le burnout est un problème résultant de facteurs multiples. «Une personne peut faire face à des conditions irritantes dans sa vie professionnelle, si elle trouve le moyen de se ressourcer dans ses loisirs ou sa vie familiale. Ou au contraire, une personne ayant une situation familiale difficile pourrait voir dans son travail un lieu lui permettant de décompresser. Par contre, elle pourrait ne plus parvenir à faire face lorsqu’à l’insatisfaction professionnelle s’ajoutent les ennuis familiaux, ou si pour des questions d’organisation l’on se retrouve à avoir des conflits entre vie familiale et vie professionnelle», prévient Irina Guseva Canu.

Mise sous pression

Prime de rentabilités, objectifs inatteignables : certaines pratiques managériales ont pour conséquence de mettre sous pression les employés. «Il est important de parler de ses difficultés avec ses collègues, sa famille, son médecin. Cela permet de questionner la pratique professionnelle. Il y a des cas où les gens se mettent dans des situations intenables pour obtenir des avantages totalement dérisoires», dénonce la psychologue dont l’expertise est régulièrement mise à contribution de structures où le taux d’absentéisme ou le turn-over sont inquiétants.

Mais ces pressions ne viennent pas toujours de l’employeur: «Dans chaque profession, il y a des règles tacites. Des éléments, par exemple en termes de disponibilité ou de flexibilité qui sont attendus sans que cela ne soit spécifié nulle part. Par exemple, qui dit qu’une institutrice doit donner à tous ses parents d’élèves son numéro de téléphone privé? Les annonces d’absence des enfants malades peuvent très bien se faire au secrétariat de l’école, sans que l’enseignante n’ait à recevoir tous les matins des appels alors qu’elle passe du temps en famille!», explique Lysiane Rochat.

Un travail satisfaisant

«Dans ma pratique, j’ai constaté que les gens peuvent tenir très longtemps quand ils croient en ce qu’ils font. Mais lorsqu’ils sont confrontés à des conflits de valeurs ou qu’ils ont le sentiment de ne plus être en mesure de faire du ‹bon› travail, ils peuvent très vite se retrouver dans des situations de souffrance. Par exemple pour le personnel soignant, cela peut être ne plus avoir le temps de prodiguer
des soins de manière satisfaisante», relate Lysiane Rochat.

Avoir un travail conforme à ses attentes serait donc un élément protecteur en ce qui concerne le burnout. Or, nombre de professions semblent de moins en moins satisfaisantes: «la bienveillance du public ne cesse de diminuer et cela peut devenir irritant pour les personnes qui sont à son contact. En outre on peut imaginer que la perte de prestige que vivent certaines professions comme enseignant,
médecin et probablement pasteur participe à cette perte de satisfaction», ajoute Irina Guseva Canu.
 

Que faire?

«On passe sa vie à gérer des déséquilibres!», souligne Lysiane Rochat. Mais quand une situation de souffrance professionnelle s’installe, «il ne faut surtout pas vouloir régler cela seul! Avant qu’une situation n’ait d’impact sur la santé, il faut pouvoir en parler avec ses collègues et ses supérieurs. Il ne faudrait pas hésiter à remettre en cause certaines pratiques. Il ne faut pas non plus avoir peur d’évoquer ces questions avec des professionnels de la santé.»