Trouver un job devient impossible, cela ne devrait plus être nécessaire

Il va devenir de plus en plus difficile pour des franges importantes de la population d’avoir accès à un job qui fournit un salaire stable, correct, sûr / TU-KA/iStock
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Il va devenir de plus en plus difficile pour des franges importantes de la population d’avoir accès à un job qui fournit un salaire stable, correct, sûr
TU-KA/iStock

Trouver un job devient impossible, cela ne devrait plus être nécessaire

RÉVOLUTION INDUSTRIELLE
Production de richesses et travail humain sont de plus en plus déconnectés. Faut-il songer à changer notre modèle de société?

Alors qu’un projet pilote de revenu de transition écologique devrait voir prochainement le jour dans le canton de Vaud, Xavier Oberson, professeur de droit fiscal à l’Université de Genève rétorque: «Je suis en faveur d’un système de revenu inconditionnel. Avec l’arrivée des intelligences artificielles, nous vivons ce que nous appelons la quatrième révolution industrielle. Pour les économistes les plus optimistes, cette révolution, comme les précédentes, va créer suffisamment d’emploi pour garder une forme de stabilité économique. Toutefois pour les plus pessimistes, cette fois c’est le cerveau humain que l’on remplace et l’on s’achemine vers la fin du travail tel que nous le connaissons. Si l’humain n’a plus besoin de travailler, ou si une proportion importante n’a plus accès au travail, il faut repenser fondamentalement les conditions d’acquisition des revenus.»

Professeur de politiques sociales à l’Institut de hautes études en administration publique (IDHEAP), Giuliano Bonoli considère également que «Les augmentations de productivité de ces dernières années — et qui vont se poursuivre — créent une déconnexion entre la production de richesses et le travail humain. C’est une opportunité en faveur d’un revenu universel qui pourrait coexister avec la possibilité d’avoir un salaire.» Le chercheur ajoute. «Et nous avons également une demande pour une telle offre. Car il va devenir de plus en plus difficile pour des franges importantes de la population d’avoir accès à un job qui fournit un salaire stable, correct, sûr.»

Giuliano Bonoli précise: «Les personnes les moins qualifiées ont toujours été prétéritées dans nos sociétés capitalistes, mais peut être qu’aujourd’hui elles le sont encore un peu plus, car elles sont en concurrence soit avec des machines, soit des ouvriers dans les pays pratiquant des salaires beaucoup plus faibles et avec des coûts aussi beaucoup plus faibles.» Le chercheur ajoute: «Aujourd’hui, ce ne sont pas seulement les personnes les moins qualifiées qui peinent à accéder à un niveau de vie digne à travers le travail, cette difficulté “monte” dans l’échelle des qualifications. Désormais, même des personnes avec des qualifications moyennes —en Suisse on pourrait dire le niveau CFC, qui traditionnellement était assez bien protégé contre le risque de chômage et de pauvreté— peinent, suivant leur spécialisation, à accéder à un travail stable.»

 

Regain d’intérêt pour le revenu de base

L’idée d’un revenu universel a pourtant été sèchement refusée par le peuple suisse il y a à peine six ans. «Ce qui s’est passé pendant la pandémie a redonné une vitalité à ce concept de revenu de base», juge Xavier Oberson.

«Si l’on compare l’époque que l’on vit avec la révolution industrielle, il semble clair que la création des richesses a donné alors l’opportunité de créer l’État social et que la dislocation des solidarités traditionnelles, causée en particulier par la migration des personnes des zones rurales vers les zones urbaines a créé une demande pour des aides étatiques. Après, une opportunité et une demande ne suffisent pas. Il faut aussi une force politique qui porte le projet», prévient Giuliano Bonoli.

Même le concept de retraite a été, un moment donné, révolutionnaire

Il ne faut donc pas avoir peur de défendre des idéaux de société. «Il y a 150 ans, il n’y avait pas d’État social. Si quelqu’un était pauvre, il devait s’en remettre aux Églises, peut-être à quelques philanthropes. Si aujourd’hui cela va de soi que l’État social existe, dans la première Constitution suisse, l’État n’avait aucune tâche sociale! Même l’État social a été un concept visionnaire à un moment donné», insiste le chercheur.

«Dans mes lectures je suis tombé sur une anecdote qui explique qu’à l’introduction de la toute première retraite en 1908 au Royaume-Uni, il paraissait tellement impensable que l’État donne de l’argent, que des bénéficiaires se rendaient dans les bureaux de poste —où la prestation était délivrée— avec des fromages ou des volailles à échanger contre leur retraite», raconte-t-il.
«L’État social paraissait improbable, mais on l’a fait, et même si aujourd’hui on peine parfois à le financer, personne ne le remettrait complètement en cause, car l’on s’accorde que l’on a une société meilleure avec.»

Transition difficile

Xavier Oberson propose une piste pour financer cette aide monétaire sans condition. Le juriste prône la taxation des automatismes et des intelligences artificielles. C’est-à-dire les différentes techniques visant à reproduire à l’aide de logiciels le comportement d’un cerveau humain.

«Au cours de l’histoire, il y a eu plusieurs modèles de taxation. À chaque type de nouvelle forme d'imposition, il a fallu trouver une justification économique et constitutionnelle. Par exemple, si on introduit un impôt sur la valeur locative auprès des propriétaires d'immeubles, on le justifie par le fait que ce dernier économise un loyer qu'il aurait autrement dû payer pour habiter ce logement. En suivant une logique comparable, on pourrait soutenir que l'entreprise qui remplace les travailleurs humains par de l'intelligence artificielle économise le salaire qu'il aurait normalement dû payer pour les travailleurs humains.»

Comment mettre en œuvre cette ponction nouvelle sans faire fuir de nombreuses entreprises du territoire. «On ne peut probablement pas imaginer cette mise en place d’une telle taxe dans un pays seulement. Mais si l’on prend exemple sur l’accord de l’OCDE sur la taxation des multinationales, on se rend compte que lorsqu’une question semble justifiée, il est possible d’arriver à un accord international», juge l'avocat fiscaliste.

«La mise en place d’un revenu de citoyenneté pose effectivement de nombreuses questions de mise en place. Par exemple, est-ce que cela va de pair avec une fermeture des frontières pour éviter une augmentation du nombre de personnes souhaitant en profiter ou quelles incitations à travailler resteraient pour les métiers pénibles? Ne risque-t-on pas de voir une société discriminante avec un d’un côté des Suisses qui ont soit de bons jobs, soit se la coulent douce avec le revenu de citoyenneté et de l’autre des étrangers qui occupent tous les métiers difficiles ou ingrats?», liste Giuliano Bonoli. «Ce n’est pas parce que ce n’est pas facile de résoudre ces problèmes qu’il faut en faire une raison pour ne rien faire! On peut décider aujourd’hui que l’on veut une société meilleure et tâcher ensuite de résoudre les problèmes. Le meilleur moyen d’aller d’un point à un autre reste de faire des pas l’un après l’autre», conclut-il. On pourrait imaginer, comme lors de l’instauration des retraites de commencer avec des revenus universels assez faibles et d’en faire peu à peu augmenter le montant.

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