Cheminer ensemble plutôt que d’apporter des vérités toutes faites

Cheminer ensemble plutôt que d’apporter des vérités toutes faites / ©iStock
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Cheminer ensemble plutôt que d’apporter des vérités toutes faites
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Cheminer ensemble plutôt que d’apporter des vérités toutes faites

Transmission
Eveil à la foi, culte de l’enfance, catéchisme, les offres à destination des plus jeunes sont nombreuses et peinent parfois à trouver leur public. Pourtant, elles répondent à un besoin essentiel de l’enfant.

 «Cela fait quelques années que l’on est revenu de l’idée que l’enfant est une amphore vide qu’il faudrait remplir», résume Laurence Bohnenblust-Pidoux, coordinatrice cantonale Enfance-FamilleS de l’Eglise réformée du canton de Vaud. «Tout petit, l’enfant a déjà une vie spirituelle. La catéchèse, par des discussions, des récits, des temps spirituels, des animations, a comme objectifs d’enrichir, d’ouvrir des possibles, de faire découvrir les racines chrétiennes et de créer des liens avec d’autres», explique-t-elle. Une vision de l’enseignement de la foi, que l’on appelle la «catéchèse», que partage Amandine Mayer-Sommer, chargée de ministère auprès des enfants pour l’Eglise protestante de Genève (EPG). Elle est l’une des deux nouvelles Mad’Amandine qui donnent la réplique aux marionnettes lors des spectacles-débats avec les enfants des Théopopettes. «Le but des Théopopettes, c’est de faire réfléchir les enfants. Cela s’inscrit dans une demande plus large. Les faire réfléchir par eux-mêmes sur toute sorte de questions, y compris Dieu.» Elle poursuit: «Nous essayons d’inciter les enfants à penser par eux-mêmes, pour eux-mêmes. Nous les encourageons à oser penser Dieu.»

La même dynamique se retrouve dans le domaine de l’édition d’ouvrages spécialisés. «La catéchèse a évolué depuis pas mal d’années. On n’est plus dans un modèle de transmission de foi, mais dans un questionnement. La finalité, c’est que les enfants ou les ados soient capables de se situer eux-mêmes.», explique Vital Gerber, responsable de l’Office protestant d’édition (OPEC). «Maurice Baumann définissait la catéchèse comme le lieu sécurisé où l’adolescent peut expérimenter la pertinence ou non de ce que propose le christianisme», poursuit l’éditeur, citant un pasteur et professeur de théologie pratique auteur de plusieurs ouvrages consacrés à la catéchèse.

Une place pour les grandes questions

Une démarche essentielle pour Amandine Mayer-Sommer: «Les enfants passent par des phases où ils se posent des questions, en particulier les ‹grandes questions›: la mort, le sens de la vie. Certaines interrogations sont taboues, voire interdites, à l’école et nous leur offrons un lieu. Il faut faire une place à la spiritualité de l’enfant.» Pas question toutefois d’apporter des réponses toutes faites: «Il est plus important de faire un chemin de recherche que d’apporter une réponse. Nous sommes dans des approches d’enfants théologiens. Et quelle richesse! Quel parcours! Je suis toujours admirative des réflexions qui les habitent, des liens qu’ils peuvent faire entre les choses», s’enthousiasme Amandine Mayer-Sommer.

Les récits bibliques ne sont ainsi pas abordés comme des vérités intangibles: «Notre objectif est de poser des jalons. Mais on ne va obliger les enfants à aucune pratique», commente Laurence Bohnenblust-Pidoux.

Des efforts d’accueil

Mais si l’enfant est naturellement théologien, comment expliquer la baisse des effectifs au catéchisme notamment? «On rencontre beaucoup d’opinions sur ce qu’est l’Eglise, et souvent des allergies face à ce qu’est l’institution», évoque Amandine Mayer-Sommer. «Un autre problème, c’est que l’on n’a plus accès aux listes d’enfants. Nos registres s’appauvrissent de mois en mois. Contacter les gens est devenu un vrai problème», complète son collègue Etienne Jeanneret, pasteur à l’Eglise des enfants de l’EPG. «A Genève, la conception stricte de la laïcité nous limite dans notre possibilité de faire de la publicité pour nos parlottes, mais nous faisons tout de même quelques flyers et nous sommes présents sur Facebook et Instagram», explique Amandine Mayer-Sommer.

«Dans le canton de Vaud, nous essayons – ou plutôt nous devons – mettre des familles entières en contact avec l’Evangile, pas seulement des enfants. Pour cela, nous nous efforçons de sortir des murs de nos églises, d’être présents là où sont les gens, lors de fêtes locales par exemple, ou alors d’organiser nous-même des événements qui peuvent rassembler», affirme Laurence Bohnenblust-Pidoux.

Pasteur à Bienne, Carmelo Catalfamo s’en réjouit: «C’est souvent fort de donner l’éveil à la foi, car c’est vraiment une démarche familiale. Il n’y a pas que les enfants qui peuvent y apprendre quelque chose, mais aussi leurs parents. C’est d’autant plus important d’être dans une démarche ouverte : on n’est pas là pour leur inculquer une vérité, mais pour vivre quelque chose de la foi, pour cheminer ensemble.»

Des bases fragiles

Et si les spécialistes de la catéchèse s’efforcent de toucher les familles, c’est que ce n’est plus le lieu naturel de l’apprentissage de la foi. «Avant, dans les paroisses, on transmettait un savoir, des connaissances. Pour la foi, nous comptions sur les parents. On construisait des savoirs en s’appuyant sur ce que transmettaient les parents au travers d’une pratique religieuse telle que la prière», explique Etienne Jeanneret.

Carmelo Catalfamo l’exprime ainsi: «Nous sommes entrés dans une catéchèse existentielle, qui donne aux enfants et aux adolescents la possibilité de s’interroger sur les grandes questions telles que la vie, la mort… Mais le b.a.-ba des connaissances de la tradition chrétienne ou de savoirs concernant la Bible n’est souvent pas acquis. Jésus, c’est un mot, un peu comme une marque de jeans. Le défi est donc à la fois d’aborder les questions existentielles, mais sans présupposer que les participants connaissent les histoires de la Bible, ou les grands principes du christianisme.»

Et les publications proposées en librairie suivent également cette tendance: «Actuellement, l’enjeu est de s’adresser aux familles et pas seulement aux enfants. Les parents n’ont plus forcément les repères et peinent parfois à s’approprier le matériel proposé. Il reste très peu de connaissances et une certaine naïveté face à ce que sont la religion et la tradition», constate Vital Gerber. Pas de quoi faire naître pour autant une véritable littérature catéchétique à destination des adultes. «Pour les adultes, il y a effectivement une recherche d’informations, mais ces recherches ne mènent pas forcément vers de la catéchèse. Il y a d’autres portes d’entrée, d’autres mots clés. Là aussi, c’est un défi: on a accès plus que jamais à de l’information, mais comment avoir des repères? Comment garder une posture critique, qui est importante dans la famille religieuse protestante? Comment être capable de décortiquer des choses dans ce fouillis qui nous est proposé?» s’interroge Vital Gerber.

Laisser le choix

L’une des principales difficultés réside dans la crainte qu’ont certains parents d’imposer une religion. «J’ai été catéchète et je me rends compte que le discours des familles, c’est: ‹on les laisse choisir›. Parfois, il suffit qu’un enfant dise ‹non› une fois pour qu’on ne l’incite plus, et qu’il ne vienne plus jamais. Quand cela arrive, c’est un fil rouge qui est cassé et il est difficile de le renouer», témoigne Carmelo Catalfamo. «Pour qu’une liberté puisse s’exprimer, il faut s’en donner les moyens. On ne peut avoir la liberté de choisir que si l’on connaît. Si l’on n’apprend rien aux enfants, ils ne peuvent pas choisir!» soulève Laurence Bohnenblust-Pidoux.

Apprendre la communauté

«Dans le protestantisme, on n’a pas de passage obligatoire, comme chez les catholiques. Il y a peu ou pas de rendez-vous», regrette enfin Amandine Mayer-Sommer. Une intuition que partage Carmelo Catalfamo, dont les effectifs fondent au fur et à mesure que les enfants prennent de l’âge, mais qui constate un petit regain d’intérêt pour le caté lorsque la confirmation approche. Il insiste: «La transmission de la foi, ça passe aussi par le vécu communautaire.» Laurence Bohnenblust-Pidoux abonde: «La spiritualité est communauté.» Et parmi les temps forts vécus en communauté, elle cite: «J’aime toujours le moment où, lors d’un baptême, on bénit les gens. Regarder un enfant et lui dire qu’il est aimé tel qu’il est, c’est pour moi beaucoup de joie. Dans cette période anxiogène, leur dire une parole de bien, c’est essentiel.»