Les débats de l'islam contemporain
27 février 2004
Dans son dernier livre, Rachid Benzine voit dans une minorité d’intellectuels réformateurs, soucieux de dialogue avec le reste de l’humanité, l’avenir de la foi et de la société musulmanes
Le monde musulman n’est pas enfermé depuis des siècles dans une théologie sclérosée. « L’islam comme réalité spirituelle, mais aussi comme gisement intellectuel en éveil permanent, est ignoré, sciemment ou par manque de culture », dénonce dans son dernier ouvrage* l’intellectuel musulman Rachid Benzine.
Contrairement à une idée trop répandue en Occident, l’absence dans l’histoire de cette foi (qui regroupe actuellement un milliard trois cents millions de croyants) d’une vraie Réforme – et donc d’un large débat - de type chrétienne, n’empêche nullement de multiples courants de s’y entrechoquer depuis le XVIIIe siècle au moins. Et parmi les nombreuses évolutions, il y a l’émergence dans de nombreux pays de ce que l’auteur appelle les nouveaux penseurs de l’islam.
Ces hommes et ses femmes se définissent comme croyants, membres de l’Oumma. « Le Coran est bien pour eux Parole de Dieu, quand bien même ils peuvent s’interroger sur ce que recouvre cette notion comme celle de Révélation. Leur intention est de réexaminer les manières dont l’islam a pu se construire historiquement. Et de revisiter les interprétations successives et les utilisations qui ont été faites du message coranique et des autres textes fondateurs, hadiths et corpus des grandes écoles juridiques ».Nouvelle herméneutique coraniqueSelon Rachid Benzine, ces intellectuels fournissent les conditions d’une nouvelle herméneutique coranique, ce qui conduit à une nouvelle manière de vivre l’islam. Ces réformateurs ne cherchent donc pas à dévaloriser la foi musulmane. Au contraire, ils aimeraient que chaque fidèle puisse « approcher en vérité le message de l’islam, loin des manipulations idéologiques, et se l’approprier en connaissance de cause ».
Hier comme aujourd’hui, ces savants sont à la fois la cible des pouvoirs politiques non démocratiques et des exégètes conservateurs. Beaucoup ont choisi l’exil, certains ont été calomniés, menacés de mort et parfois effectivement exécutés. « On les accuse fréquemment d’être trop marqués par les penseurs contemporains occidentaux, alors que leur critique de l’Occident est tout aussi rigoureuse et vigoureuse que celle dont ils font preuve à l’égard de l’héritage islamique », note Rachid Benzine.
Du VIIIe au XIVe siècle, l’islam a été en avance sur l’Occident. Ensuite, « l’autonomie de la pensée par rapport aux diktats religieux s’est montrée la clé du fulgurant développement de l’Occident », alors que la brillante civilisation arabo-persane « s’est comme arrêtée de penser lorsque les pouvoirs politiques et religieux ont fait cesser toute réflexion indépendante de la doctrine religieuse ». Depuis lors, même la théologie en islam « se limite le plus souvent à la définition des lois » et l’ijtihâd, l’effort personnel d’interprétation des textes sacrés, a été bloqué par les autorités. Deux courants opposésSelon l’auteur, la « renaissance islamique actuelle » trouve sa source dans les mouvements politico-religieux qui ont surgi aux XVIIIe et XIXe siècles. Parmi ces derniers, il faut signaler malgré ses outrances le mouvement réformiste puritain du wahhabisme en Arabie et celui d’une réforme « ouverte » de Shah Wali Allah en Inde. Rachid Benzine distingue deux grands courants réformistes. D’une part, un mouvement « islamiste » qui veut un islam politique et « toujours davantage d’islam » dans tous les domaines de la vie, se rattachant à la pensée d’Hassan al-Banna, le fondateur des Frères Musulmans, et à celle d’Abu Ala Mawdudi, le créateur du courant « Jama’at-i islami » (« Le rassemblement de l’islam »).
D’autre part, il y a un « islam critique », dont les premières grandes figures de proue ont été l’Egyptien Ali Abderraziq (mort en 1966) et surtout le célèbre penseur et poète Muhammad Iqbal, disparu en 1938. Parmi les représentants contemporains de cette dernière tendance, Rachid Benzine retient notamment l’apport considérable d’Abdul Karim Soroush. Cet Iranien désormais exilé aux Etats-Unis proclame notamment que si le Coran est sans imperfection, « la compréhension que les humains ont de la religion est, elle, imparfaite ». Le texte religieux demeure constant et n’a pas à être modifié. En revanche, avec le temps, l’interprétation que les hommes en feront changera, « parce que tout ce que nous recevons de la religion est interprétation ». Des idées qui, on l’imagine, ne plaisent guère aux fondamentalistes. Rachid Benzine, « Les Nouveaux penseurs de l’islam », éd. Albin Michel, coll. « Spiritualités ».
Contrairement à une idée trop répandue en Occident, l’absence dans l’histoire de cette foi (qui regroupe actuellement un milliard trois cents millions de croyants) d’une vraie Réforme – et donc d’un large débat - de type chrétienne, n’empêche nullement de multiples courants de s’y entrechoquer depuis le XVIIIe siècle au moins. Et parmi les nombreuses évolutions, il y a l’émergence dans de nombreux pays de ce que l’auteur appelle les nouveaux penseurs de l’islam.
Ces hommes et ses femmes se définissent comme croyants, membres de l’Oumma. « Le Coran est bien pour eux Parole de Dieu, quand bien même ils peuvent s’interroger sur ce que recouvre cette notion comme celle de Révélation. Leur intention est de réexaminer les manières dont l’islam a pu se construire historiquement. Et de revisiter les interprétations successives et les utilisations qui ont été faites du message coranique et des autres textes fondateurs, hadiths et corpus des grandes écoles juridiques ».Nouvelle herméneutique coraniqueSelon Rachid Benzine, ces intellectuels fournissent les conditions d’une nouvelle herméneutique coranique, ce qui conduit à une nouvelle manière de vivre l’islam. Ces réformateurs ne cherchent donc pas à dévaloriser la foi musulmane. Au contraire, ils aimeraient que chaque fidèle puisse « approcher en vérité le message de l’islam, loin des manipulations idéologiques, et se l’approprier en connaissance de cause ».
Hier comme aujourd’hui, ces savants sont à la fois la cible des pouvoirs politiques non démocratiques et des exégètes conservateurs. Beaucoup ont choisi l’exil, certains ont été calomniés, menacés de mort et parfois effectivement exécutés. « On les accuse fréquemment d’être trop marqués par les penseurs contemporains occidentaux, alors que leur critique de l’Occident est tout aussi rigoureuse et vigoureuse que celle dont ils font preuve à l’égard de l’héritage islamique », note Rachid Benzine.
Du VIIIe au XIVe siècle, l’islam a été en avance sur l’Occident. Ensuite, « l’autonomie de la pensée par rapport aux diktats religieux s’est montrée la clé du fulgurant développement de l’Occident », alors que la brillante civilisation arabo-persane « s’est comme arrêtée de penser lorsque les pouvoirs politiques et religieux ont fait cesser toute réflexion indépendante de la doctrine religieuse ». Depuis lors, même la théologie en islam « se limite le plus souvent à la définition des lois » et l’ijtihâd, l’effort personnel d’interprétation des textes sacrés, a été bloqué par les autorités. Deux courants opposésSelon l’auteur, la « renaissance islamique actuelle » trouve sa source dans les mouvements politico-religieux qui ont surgi aux XVIIIe et XIXe siècles. Parmi ces derniers, il faut signaler malgré ses outrances le mouvement réformiste puritain du wahhabisme en Arabie et celui d’une réforme « ouverte » de Shah Wali Allah en Inde. Rachid Benzine distingue deux grands courants réformistes. D’une part, un mouvement « islamiste » qui veut un islam politique et « toujours davantage d’islam » dans tous les domaines de la vie, se rattachant à la pensée d’Hassan al-Banna, le fondateur des Frères Musulmans, et à celle d’Abu Ala Mawdudi, le créateur du courant « Jama’at-i islami » (« Le rassemblement de l’islam »).
D’autre part, il y a un « islam critique », dont les premières grandes figures de proue ont été l’Egyptien Ali Abderraziq (mort en 1966) et surtout le célèbre penseur et poète Muhammad Iqbal, disparu en 1938. Parmi les représentants contemporains de cette dernière tendance, Rachid Benzine retient notamment l’apport considérable d’Abdul Karim Soroush. Cet Iranien désormais exilé aux Etats-Unis proclame notamment que si le Coran est sans imperfection, « la compréhension que les humains ont de la religion est, elle, imparfaite ». Le texte religieux demeure constant et n’a pas à être modifié. En revanche, avec le temps, l’interprétation que les hommes en feront changera, « parce que tout ce que nous recevons de la religion est interprétation ». Des idées qui, on l’imagine, ne plaisent guère aux fondamentalistes. Rachid Benzine, « Les Nouveaux penseurs de l’islam », éd. Albin Michel, coll. « Spiritualités ».