«L’éthique protestante s’affiche dans le travail concret pour le prochain»

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«L’éthique protestante s’affiche dans le travail concret pour le prochain»

Carole Pirker
29 novembre 2013
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5cm; font-weight: normal;">Moritz Leuenberger a quitté le Conseil fédéral en octobre 2010, après quinze ans au pouvoir. Il reste un politicien s’efforçant de faire passer ses convictions et revient ici sur la présence médiatique des 'people' réformés et sur la façon dont il vit l’héritage spirituel et intellectuel du protestantisme.

, La VP Neuchâtel-Berne-Jura

En tant que personnalité politique et fils de professeur de théologie, pourquoi n’avez-vous jamais revendiqué publiquement un héritage protestant?

– Etant familiarisé avec le discours théologique de par mes origines, je me suis régulièrement exprimé sur des questions ayant trait à la religion et à la politique, mais je n’ai jamais été un missionnaire. Au contraire des catholiques, les protestants n’ont jamais voulu d’une unité entre l’Eglise et l’Etat, et ont toujours cherché à les séparer.

Certains déplorent l’absence de visibilité médiatique des personnalités réformées et disent que l’on ne vend pas une marque – le protestantisme – mais des idées
.

– C’est vrai: l’éthique protestante ne s’affiche pas dans une quelconque pompe religieuse. Elle se traduit par l’engagement pour la collectivité et le travail concret pour le prochain.

Etes-vous pratiquant?

– On m’a souvent posé cette question et j’ai toujours refusé d’y répondre car cela tient pour moi de la sphère privée.

Quelles sont vos convictions en ce qui concerne les liens entre l’Eglise et l’Etat?

– L’Eglise doit réfléchir aux questions de notre société et de notre époque, et se tenir aux côtés des politiques pour les conseiller. Son rôle est d’aiguiser leur conscience, de les critiquer et de les rappeler à leur devoir. Elle doit cependant rester consciente de la nécessité des compromis et d’un certain réalisme, et ne pas viser un pouvoir politique propre.

En quoi le protestantisme a-t-il nourri vos idées politiques?

– Prenons l’exemple du programme «Via sicura». La Bible nous dit: Tu ne tueras point. En ma qualité d’homme politique, j’en déduis: je dois empêcher que des gens meurent sur la route. Il me faut donc suivre la «vision zéro» et introduire les mesures de sécurité qui s’imposent.

Y a-t-il des personnalités réformées qui ont inspiré votre pratique politique?

– Heinemann, Willy Brandt, von Weizsäcker, Gauck. Mais ils sont tous Allemands et il ne serait pas sérieux d’affirmer que mes valeurs ne sont représentées que là-bas. Kofi Annan, qui n’est pas protestant, ou Kennedy, qui était catholique, m’ont eux aussi inspiré.

Quelle est l’influence du protestantisme sur les mentalités politiques actuelles?

– Bien des actes politiques sont inspirés par la pensée protestante, sans qu’on en soit forcément conscient. Prenons l’exemple de l’initiative 1:12. Elle vise à retrouver un sens de la mesure dans la culture de l’excès qui s’est installée avec la mondialisation. Nous voulons des repères contre la démesure des bonus, et prendre des mesures – au vrai sens du terme – qui ramènent un peu de raison. Les protestants n’avaient pas fait autre chose en s’érigeant contre les fastes démesurés de l’église dominante.

Avez-vous vécu des cas de conscience en politique?

– Oui, en tant qu’étudiant, je défendais la vision selon laquelle chaque être humain devait gagner le même salaire dès lors qu’il faisait tout son possible en faveur de la société. Sur le principe, je continue de défendre cette utopie. En tant que conseiller fédéral, toutefois, j’ai été chargé de la libéralisation de La Poste et des télécommunications. A peine cette libéralisation était-elle achevée que les salaires des CEO ont amorcé leur hausse vertigineuse. Cette évolution des salaires, inconciliable avec ma conscience, a donc eu lieu sous mes yeux. Et j’étais tenu de la défendre face à l’opinion.

Selon le sociologue allemand Max Weber, les valeurs chrétiennes, celles du Sermon sur la montagne en particulier, sont impossibles à mettre en œuvre dans le domaine politique. Quelle est votre position?

– J’ai très souvent réfléchi à cette thèse. Et je considère que la stricte distinction qu’elle opère entre l’éthique de la conviction et l’éthique de la responsabilité n’a pas lieu d’être. Toute personne qui croit en une société telle que décrite dans le sermon sur la montagne sait que le chemin qui y mène est semé d’embûches, qui sont celles de la Realpolitik, et que pour arriver au but, des compromis sont indispensables.

Inversement, toute personne qui assume des responsabilités a nécessairement des convictions morales. Chacun de nous doit jouer ces deux rôles tour à tour. Se concentrer exclusivement sur l’un des deux sans rien vouloir savoir de l’autre, c’est se soustraire à sa responsabilité sociale.