«Là-bas, la mort devient un rêve inaccessible»

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«Là-bas, la mort devient un rêve inaccessible»

Aline Jaccottet
4 avril 2016
De passage à Lausanne, les Syriens Louai Abou Aljoud de l’agence de presse Pro-Media et Reem Fadel de la chaîne Orient News ont raconté les souffrances de leur vie passée. Mais aussi leurs attentes vis-à-vis de leurs confrères et consœurs occidentaux.

Photo: Reem Fadel s’est toujours beaucoup impliquée pour les droits de ses compatriotes. DR

A 25 et 33 ans, Louai Abou Aljoud et Reem Fadel incarnent le parcours de toute une génération de Syriens. Dans une autre vie, ils étaient étudiants, l’une en art dramatique et l’autre en biologie à Alep. Les premières manifestations de 2011 les ont transformés en journalistes-résistants. «Le régime craint davantage la liberté d’expression que les armes. Dans les prisons, il y a bien plus d’intellectuels que de combattants», explique Reem, le regard hanté par la tristesse. Dans les premiers mois, elle relate les événements sur un compte Facebook à son nom et apporte de l’aide aux civils tandis que lui photographie les mobilisations violemment réprimées.

Torture en prison

Leur engagement leur coûtera très cher. En 2011, Louai passe quinze jours dans les geôles du régime. Reem est arrêtée en décembre 2013 par les autorités et reste enfermée trois longs mois. Tous deux sont torturés, soumis à des simulacres d’exécution. «Là-bas, la mort devient un rêve inaccessible», souffle Reem, peinant à retenir ses larmes. Louai est aussi kidnappé par l’Etat islamique au moment de son apparition dans la région d’Alep. «En me torturant, les premiers crachaient sur ma religion tandis que les seconds invoquaient Dieu. Quelle ironie…» Le jeune homme, qui a dû «payer un prix très élevé pour revoir la lumière du soleil», se dit certain qu’il existe une connivence entre le régime syrien et l’Etat islamique qu’il prétend combattre. «Sur les 430 prisonniers détenus par Daesh en même temps que moi, pas un seul n’était membre des milices, de l’armée ou des renseignements», souligne-t-il.

Photo: Pour Louai Abou Aljoud, les médias occidentaux devraient se fier davantage aux journalistes syriens. DR

Des médias partiaux

Les deux journalistes se disent frustrés de l’attention médiatique quasi exclusive sur les crimes de l’Etat islamique. «Désormais, les crimes du régime sont totalement passés sous silence. Les journaux européens ne prennent plus que des informations sur les djihadistes, tout le reste passe à la trappe», déplore Reem. La stigmatisation des réfugiés syriens les révolte aussi. «Mes compatriotes sont accusés de tous les maux, mais il n’y avait que des étrangers parmi les djihadistes qui m’ont torturé», souligne Louai. Tous deux estiment que les rédactions occidentales devraient se fier davantage aux journalistes syriens sur place, et équilibrer l’information. Une mission difficile au vu des dommages que provoquent les partisans de l’Etat islamique en Europe…

Montrer les sourires

La complexification de la guerre syrienne rend l’exercice du journalisme toujours plus périlleux. Noms fictifs, proxy pour contourner la censure et la surveillance, caméras sous forme de stylos ou de micro-cravates, Louai et Reem auront tout tenté pour accomplir leur mission. Désormais, ils exercent leur profession en Turquie où ils se sont réfugiés avec leur famille. Louai a fondé en 2014 l’agence de presse Gazientep à la frontière syro-turque et travaille pour plusieurs chaînes de télévision, dont Al-Arabiya. Quant à Reem, journaliste pour la chaîne Orient News à Istanbul, elle s’implique dans l’humanitaire, notamment en faveur des femmes. «La mort, je l’ai assez vue, assez racontée. Désormais, ce sont les sourires et la vie que je veux montrer», conclut-elle.