«Je refuse d’accepter l’idée que des sujets soient tabous»

Christophe Peter © Réformés.ch
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Christophe Peter © Réformés.ch

«Je refuse d’accepter l’idée que des sujets soient tabous»

15 février 2018
Prédication
Le pasteur Christophe Peter a organisé sa prédication du 4 février 2018 au temple de Morges autour du débat suscité par le dossier dans le dernier numéro de Réformés: "Orientation sexuelle: accueillir la différence"

Le week-end dernier je me mettais intérieurement sur orbite pour le culte du dimanche matin. Je me préparais aussi à une rencontre sur le défi du pluralisme dans notre Eglise. J’étais également habité par la réflexion sur le thème qui va donner cohérence au rallye de catéchisme du mois de mai prochain. Nous avons décidé de faire une refonte totale du rallye avec une nouvelle thématique liée à des enjeux actuels. Quelques personnes, ministres et jeunes, affinent le projet en lien avec la question de la place de l’humain dans notre monde: transhumanisme, homme augmenté, technologie qui repousse les limites humaines. Cela interroge notre spiritualité, les liens entre humains, avec Dieu, notre rapport à notre environnement. Je souhaitais vous associer à cette réflexion stimulante dans la prédication... Ce sera pour une autre fois... 

Un autre sujet est venu occuper le terrain. Un sujet que j’ai intégré comme faisant partie de mon environnement social et ecclésial. Un sujet délicat, même si je ne me sens pas touché au quotidien, ni dans ma chair, ni dans mon action pastorale. Mais je sais que je peux être confronté à cette question d’un jour à l’autre. 

A quoi fais-je allusion? L’accès dans les lieux publics et les transports pour les personnes en situation de handicap ou à mobilité réduite? Comment les financer? Est-ce une priorité? Si vous êtes passés à la chapelle des Charpentiers cette semaine, vous avez pu voir des travaux dans l’escalier. Une plateforme va être installée pour permettre à des personnes en chaise roulante d’accéder facilement au premier étage. 

Serait-ce la surpopulation carcérale et les conditions de détention? Ce sujet délicat est régulièrement à l’agenda des instances politiques du canton. Plus largement dans le monde, différentes situations carcérales ne nous laissent pas indifférents. Lors d’une rencontre de catéchisme, de jeunes gymnasiennes, anciennes catéchumènes, sont venues présenter leur engagement pour Amnesty international. Echange intéressant entre jeunes. Et j’ai été frappé par un questionnement de catéchumènes: «Faut-il vraiment mettre tant d’énergie en lien avec les prisonniers? S’ils sont incarcérés, ils l’ont bien cherché.» Le monde carcéral fascine autant qu’il repousse. Un monde fermé et donc un monde mal connu. Et je repensais à la période dans mon début de ministère pastoral où j’avais un mandat d’aumônier de prison. 

Serait-ce encore un sujet lié à la fin de vie d’une personne atteinte dans sa santé au point de ne plus pouvoir émettre un consentement éclairé? Difficile en l’absence de directives anticipées.... Trois situations, facilité d’accès pour personnes en situation de handicap, surpopulation carcérale, fin de vie... Trois situations qui peuvent susciter des débats passionnés, créer des tensions.
Et selon la manière dont nous sommes personnellement concernés par la situation, notre avis est susceptible d’évoluer. Actuellement, j’ai le luxe de ne pas devoir affronter ces situations au quotidien.

Sur le papier, dans des réglementations, des dispositions précises existent et sont censées permettre de gérer ces situations. Mais comment cela se passe-t-il sur le terrain réel? N’avons-nous pas tendance à oublier les personnes qui sont confrontées au quotidien à une difficulté, à une épreuve, à des obstacles? 

C’est finalement un quatrième sujet délicat qui s’est imposé à moi pour ce dimanche: le dossier sur l’orientation sexuelle dans le mensuel Réformés. Pourquoi refaire un dossier sur ce thème? Les illustrations publiées ont-elles judicieusement été choisies? Le sujet est délicat car susceptible de diviser... Ne suis-je pas fou de me lancer ainsi avec un thème qui a suscité des réactions vives ces derniers jours? Faut-il que je m’autocensure? Devrais-je me taire par peur des réactions éventuelles? Je ne suis pas touché au quotidien, ni dans ma chair, ni dans mon action pastorale. J’aurais pu laisser passer. Mais je vous rassure… Je n’ai pas la prétention de vous dire ce que vous devez penser ou croire. Je suis trop amoureux de la liberté de conscience et d’expression. 

Je vous invite cependant à envisager le dossier du journal Réformés sur l’orientation sexuelle et les effets qu’il produit sur chacun de nous sous l’angle du pluralisme en Eglise. Comment vivre ensemble, en communion, même si des désaccords importants sont susceptibles de nous éloigner les uns des autres? Dans un premier temps, en découvrant ce dossier, je me suis dit: «Oh non, nous n’avions pas besoin de cela. Il va y avoir à nouveau des tensions, des affrontements, des invectives.» Puis, j’ai pensé aux personnes, chrétiennes ou non, qui sont directement touchées, dans leur vie quotidienne, dans leur être intime, dans leur entourage par cette question de l’orientation sexuelle. 

«Tout est permis, mais tout n’est pas utile; tout est permis, mais tout n’édifie pas. Que personne ne cherche son propre intérêt, mais celui de l’autre.»
1 Corinthiens 10, 23-24

Un dossier sur ce thème est-il utile? Les illustrations publiées sont-elles constructives? Avec le passage de la première épître aux Corinthiens que nous avons entendu ce matin, nous aurions tendance à dire que ce n’est pas utile, ni constructif, puisque cela déclenche les passions, le trouble, la division...
Et pourtant ce n’est pas si simple. Ce passage de la lettre de Paul s’adresse à une communauté confrontée à de fortes divisions, à des débats houleux et ardus. Apprendre à vivre dans un certain pluralisme, cela ne date pas d’aujourd’hui, pour les chrétiens. 

Ces versets présentent une situation de dilemme: il nous faut souvent choisir entre deux options qui ne sont pas pleinement satisfaisantes. «Tout est permis, mais tout n’est pas utile; tout est permis, mais tout n’édifie pas. Que personne ne cherche son propre intérêt, mais celui de l’autre.» (1 Corinthiens 10, 23-24).

lors, fallait-il oser nommer une situation délicate en reconnaissant la souffrance vécue par une minorité et donc prendre le risque de susciter des réactions vives chez des lecteurs qui se sentent choqués? Ou au contraire fallait-il s’autocensurer pour ne pas choquer, pour ne pas risquer de heurter ou de blesser, et donc renoncer à donner de l’intérêt pour des personnes qui se sentent rejetées? Pas si facile de choisir! 

Chercher l’intérêt de l’autre, d’accord, mais de quel autre? Ce choix est donc plus subtil qu’on pourrait le penser de prime abord dans le feu de l’émotion. Au fil des discussions sur le dossier du journal avec des collègues, des jeunes ou encore des paroissiens, j’ai été surpris, stimulé, étonné et même émerveillé par la diversité des perceptions, des interrogations, des réflexions. J’ai vécu des échanges remplis d’écoute mutuelle, de bienveillance, même si l’émotion était bien présente.

Et cela m’a invité à beaucoup d’humilité, selon la tonalité de l’ouverture de ce culte. Je partage avec vous quelques échos glanés au fil des discussions. Cela ne se veut pas exhaustif.

«Le contenu du dossier n’est pas problématique, mais la photographie du couple homosexuel choque inutilement.» 

«La légende accompagnant l’image indique que cette illustration est l’œuvre d’une photographe et date de 2003. Cela fait déjà 15 ans.» 

«Cette image de nudité a-t-elle place dans un journal d’Eglise?» 

«Cette photographie est esthétique, transmet un message et invite à réfléchir.» 

«N’est-ce pas réducteur de se focaliser sur la sexualité?» 

«L’image n’est pas en couverture du journal et ne s’impose pas d’emblée à notre vue. Pour la voir, il faut décider de lire le dossier.»

«Pourquoi la couleur rose en couverture ? N’est-ce pas un cliché sur les homosexuels?» 

«Serait-ce un peu raciste ? La personne noire est dessous comme si elle était dominée.» 

«Ce couple, en noir et blanc, montre que la différence de couleur de peau n’est pas un obstacle à l’amour.» 

«C’est provoquant et cela ne rend pas service au dossier et à la cause des homosexuels.» 

«Un vrai couple, avec tendresse, fidélité, vie commune, sexualité. L’homosexualité, ce n’est pas seulement l’image gentille de deux personnes du même sexe qui se donne la main.» 

«J’ai demandé à quelques Jacks (Jeunes animateurs de camps et de KT) leur perception du dossier. Je n’ai pas fait une enquête représentative auprès d’un grand nombre de jeunes. Ils n’étaient pas choqués par la photo. Pour eux, l’existence d’homosexuels parmi leurs connaissances est une évidence et ne pose pas de problèmes.» 

Cette photographie ne laisse pas indifférent. Oser disposer ce couple nu pour dessiner une croix, est-ce cela qui trouble tant? La croix qui fait scandale? De nombreuses œuvres d’art qui évoquent la crucifixion ont fait scandale.

Mais n’est-ce pas inévitable? Pour Paul, comme nous l’avons entendu dans le début de l’épître aux Corinthiens, le message du Messie crucifié est au cœur de la foi. Cela est un scandale pour les Juifs et une folie pour les Grecs. Le message chrétien est tellement à contre-courant des idées dominantes, qu’il dérange, qu’il fait scandale, qu’il est jugé comme une folie. C’était vrai hier, cela le demeure aujourd’hui. Ce n’est pas étonnant que des artistes militants fassent référence à la croix pour développer leur message.

D’ailleurs ce passage de 1 Corinthiens présente Dieu comme ayant un souci particulier pour ce qui est jugé comme petit, méprisable. Ce n’est pas la première fois qu’un artiste fait référence à la croix pour dénoncer la ségrégation, la discrimination... Combien d’homosexuels sont menacés dans leur vie à travers le monde? Même torturés, assassinés, suppliciés, crucifiés? 

La question demeure: Un dossier sur le thème de l’orientation sexuelle est-il utile maintenant? Les illustrations publiées sont-elles constructives, aurait-il fallu faire un dossier différent? Je n’ai pas la prétention de trancher et de donner des réponses. Par contre il est essentiel de pouvoir débattre de questions délicates, de ce type, en Eglise. Oser donner son point de vue, exprimer accord et désaccord sans tomber dans le piège des jugements et des anathèmes.

Je refuse d’accepter l’idée que des sujets soient tabous. La liberté se nourrit, s’entretient dans le débat, dans l’échange, même parfois ardu. Pouvoir parler de tout... N’est-ce pas une condition pour que la liberté de conscience et d’expression soit garantie? La liberté de conscience, la liberté d’expression sont un bien précieux dont il faut prendre soin. Et chaque jour, nous voyons que cela ne va pas de soi dans notre monde. 

Un débat respectueux de l’avis de l’autre n’est pas un apprentissage facile, autant dans la société civile, que dans les églises chrétiennes. Accepter la pensée libre de l’autre est un exercice difficile. Le protestantisme a évolué en faisant de cette acceptation une valeur essentielle, même si l’histoire protestante est truffée de moments douloureux où cette liberté a été bafouée.

Dès la Réforme, la liberté de conscience était en germe et certains l’ont défendue en étant en avance sur leur époque. C’est le cas de Sébastien Castellion à Genève, contemporain de Calvin. Des catéchumènes ont découvert ce personnage lors du festival jeunesse Reform’Action, début novembre à Genève. 

Castellion était un humaniste. Il a rédigé une traduction critique de la Bible en latin. Le latin était la langue commune à l’époque en Europe pour la science. Elle est considérée comme la première traduction scientifique de la Bible avec ses notes critiques. Défendant le libre examen et la liberté de pensée, Castellion était un précurseur. Il ouvrait le chemin d’un pluralisme dans le christianisme. Différentes interprétations de la Bible sont possibles. Il est ainsi entré en conflit avec Calvin. 

Il s’est fortement opposé au réformateur de Genève lorsque Michel Servet a été condamné et exécuté à Genève parce qu’il osait s’interroger ouvertement sur la trinité. 

Genève ne pouvait pas risquer de passer pour le repère européen des hérétiques, selon la vision catholique de l’époque. Cela n’a pas empêché Castellion de critiquer Calvin, alors qu’il s’était réfugié à Bâle. C’est lui qui a écrit: «Tuer un homme n’est pas combattre une opinion, c’est tuer un homme». Castellion a défendu le droit d’être différent sans se faire taper dessus. 

Nous avons la chance d’avoir une presse libre pour nos Eglises de Suisse romande avec le mensuel Réformés. Les Conseils synodaux n’ont pas un droit de censure, ce n’est pas un journal de propagande des autorités d’Eglise. Le débat critique peut avoir lieu, il est possible de réagir auprès de la rédaction quand on n’est pas d’accord. 

Finalement, savoir s’il fallait publier ce dossier ou non, et comment, a peu d’importance. L’enjeu est de nous encourager les uns les autres dans un débat d’idées, dans l’échange sur notre spiritualité, dans l’écoute mutuelle. Nous en sortirons grandis et enrichis les uns des autres.

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