Un lieu de débat avant tout, pour viser le consensus

© Albin Hilbert/COE
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© Albin Hilbert/COE

Un lieu de débat avant tout, pour viser le consensus

J.Burri et C. Andrès
27 septembre 2022
Débat
Comment discuter lorsqu’on représente 350 institutions différentes? En appelant les délégués à exprimer leur enthousiasme ou leurs retenues, la prise de décisions par consensus permet de trouver des compromis.

«Tout individu est créé à l’image de Dieu. Aussi, aucune violence à l’égard de qui que ce soit ne doit être tolérée, aucune guerre ne peut être justifiée», a déclaré Ioan Sauca, secrétaire général par intérim du Conseil œcuménique des Églises, rappelant que depuis le début du conflit en Ukraine, en février, le COE a dénoncé à de multiples reprises les agressions, les invasions et la guerre. «Certains ont évoqué une exclusion de l’Église orthodoxe russe, mais je crois que le COE doit rester fidèle à sa vocation d’espace de dialogue. Maintenant que nous sommes tous autour de la table, nous pouvons débattre et nous dire ce que nous avons à nous dire les uns aux autres.» 

Dès le discours d’ouverture, le mercredi 31 août à Karlsruhe, il apparaissait clairement que l’assemblée du COE n’était pas une dispute théologique sur le sexe des anges, mais une rencontre fermement enracinée dans l’actualité. Comment aurait-il pu en être autrement alors que, dans une salle des congrès, même vaste, se retrouvaient à la fois des représentants de cette Eglise orthodoxe russe (patriarcat de Moscou) pointée du doigt par certains pour son soutien aux opérations militaires du Kremlin, et des représentants de l’Eglise orthodoxe d’Ukraine, candidate à l’adhésion au COE, depuis que son statut d’Eglise autocéphale (c’est-à-dire indépendante) lui est reconnu par une partie de l’orthodoxie en 2019.

Dialogue impossible

Quelques jours plus tard, en conférence de presse, l’archevêque Eustrate de Tchernihiv et Nijyn (au nord de l’Ukraine) déclarera: «Ce n’est pas à nous de décider de la présence des Russes. Ils sont membres du COE. Mais nous sommes heureux qu’ils puissent entendre des paroles de vérité.» Pas d’échanges, du moins officiellement, entre les deux délégations. «Il est assez difficile de dialoguer avec quelqu’un qui vous refuse même le droit d’exister!» Enfin, interrogé sur l’absence de représentants du patriarcat de Moscou lors des tables rondes, l’archevêque Eustrate botte quelque peu en touche: «S’ils sont là pour écouter et discuter, nous sommes ouverts au dialogue, mais si c’est pour revenir encore sur la propagande du Kremlin, nous n’avons pas besoin d’entendre cette falsification de la vérité.»

Les positions semblent irréconciliables! D’autant plus qu’un organe comme le COE ne peut pas prendre de mesures qui auraient force de loi pour chacune des Églises membres. Pas question d’imposer la position de la majorité, mais plutôt de trouver des consensus qui, à défaut de satisfaire tout le monde, permettent à toutes les Églises de s’en accommoder. Pas question de provoquer des retraits de l’organisation, qui tient à son rôle de lieu de débat avant tout. C’est ainsi qu’en un peu plus d’une semaine l’assemble de Karlsruhe a adopté une prise de position titrée «Guerre en Ukraine, paix et justice en Europe». 

«[Cette assemblée] dénonce cette guerre illégale et injustifiable. Nous, personnes chrétiennes originaires de différentes régions du monde, renouvelons l’appel à instaurer un cessez-le-feu immédiat pour mettre un terme à la mort et à la destruction, et à entamer un dialogue et des négociations pour parvenir à une paix durable. […] Cette guerre est incompatible avec la nature même de Dieu et avec sa volonté pour l’humanité.» 

Le texte comporte des déclarations fortes, mais ne désigne personne ni aucune Église nommément. En plénière, le débat a pourtant été passionné sur ce texte: les représentants de l’Église russe finiront par affirmer qu’ils «s’attendaient à bien pire», alors que l’Ukrainien Roman Sigov, très ému, déclarera que «cela fait mal d’entendre que le texte traite les victimes et les agresseurs sur le même plan». 

Deux jeunes Ukrainiens membres de l’Église autocéphale nous ont d’ailleurs glissé: «Oui, l’Ukraine est très présente dans les discussions et nous avons souvent l’occasion de témoigner de la situation sur place. Et c’est vrai que les discours officiels lors des sessions plénières sont factuellement très clairs: les termes de ‹guerre d’agression› font consensus. Les représentants de l’Église orthodoxe russe ne peuvent pas démentir ce fait. Par contre, nous observons qu’en coulisses certains exercent un lobby extrêmement puissant envers les représentants d’Églises africaines en particulier: ils utilisent la moindre brèche dans le discours pour répandre l’idée que cette guerre est un conflit avec les États-Unis, et pas contre l’Ukraine, que l’OTAN est responsable… Bref, pour reprendre les éléments du Kremlin. »

Apartheid en Terre sainte

Autre exemple d’actualité brûlante: la demande de l’Église anglicane d’Afrique du Sud de qualifier de crime d’apartheid le comportement de l’État d’Israël à l’encontre des minorités palestiniennes. Un vocabulaire qui a mis vent debout les Églises allemande et suisse notamment, comme l’a relaté l’agence Protestinfo (à lire sur reformes.ch). La version finale de la résolution a finalement trouvé un compromis, sous la forme d’une citation des ONG: «Récemment, de nombreuses organisations de défense des droits humains internationales, israéliennes et palestiniennes et des organes judiciaires ont publié des études et des rapports décrivant les politiques et actions d’Israël comme s’apparentant à un ‹apartheid› au regard de la législation internationale. Au sein de cette assemblée, certaines Églises et certain∙es délégué∙es soutiennent avec ferveur l’utilisation de ce terme comme décrivant précisément la réalité du peuple de Palestine et d’Israël et la situation au regard de la législation internationale, tandis que pour d’autres ce terme est inapproprié, inutile et blessant.»

Une mécanique de consensus

Si certaines personnes ont ainsi été attristées par des prises de position qui peuvent apparaître molles, le fonctionnement de l’assemblée semble pourtant permettre des affirmations relativement tranchées, même sur des sujets où les positions paraissent irréconciliables. Ce qui n’est d’ailleurs pas le cas de tous les sujets : des thématiques comme la protection de la Création ou la lutte contre les inégalités ne rencontrent pas de résistance. Chaque matin, après une prière commune, les délégués assistent à une assemblée plénière lors de laquelle ils peuvent écouter des discours de divers invités et invitées, mais aussi à des tables rondes permettant à des personnes issues de minorités de se faire entendre. Issus de membres de peuples autochtones, de communautés touchées par la montée des eaux, ces témoignages de première main mettent un visage sur les problématiques. «Le COE m’a permis de mieux comprendre les questions environnementales dans mon propre pays! Nous avons eu d’immenses incendies entre 2019 et 2020, mais je n’avais pas compris les enjeux autour de ces catastrophes! Durant les deux jours de pré-assemblée régionale, qui ont précédé la rencontre de Karlsruhe, j’ai pu échanger avec des aborigènes de mon pays, peu audibles par ailleurs sur ces questions dans nos médias, qui ont évoqué les dégâts et les difficultés qu’engendre pour eux le réchauffement. C’est là que j’ai vraiment compris, en me connectant personnellement à eux et à d’autres communautés à travers le monde», témoigne ainsi Ruth Bridgen, pasteure de l’Église anglicane en Australie. 

Les thématiques sont ensuite débattues en petits groupes et, lors des plénières de l’après-midi, la présidente prend régulièrement la température de la salle. Les délégués sont munis de deux cartons, un orange pour exprimer leur accord, un bleu pour exprimer un malaise, un désaccord. Les demandes d’amendement doivent être envoyées chaque fin d’après-midi à un groupe de travail qui s’efforce de trouver un texte de compromis pour le lendemain ou d’expliquer à l’assemblée pourquoi certaines demandes ne sont pas prises en compte. Lors de la dernière rencontre, s’il ne reste qu’un faible nombre de bleus et que personne n’exprime un désaccord sévère, le texte est considéré comme adopté. D’autres discussions ne sont publiées que sous forme de comptes-rendus, si le consensus n’est pas atteint. Ce mode de faire ne s’applique pas qu’aux prises de position publiées, mais également à l’élection des 150 membres du comité central. Manque de jeunes, de femmes, diminution du nombre de laïcs par rapport au comité précédent: la liste est longuement modifiée, largement en matière de représentations, jamais en fonction d’individus donnés.