« Le travail de pionnier de l’EPER envers les sans-papiers est un succès du secrétariat romand »
22 janvier 2008
Corinne Henchoz Pignani quitte après cinq ans le poste de secrétaire romande de l’Entraide Protestante Suisse (EPER)
Si l’œuvre d’entraide a endossé un rôle novateur en allant à la rencontre des personnes en situation illégale, ces propositions ont nécessité un patient travail pour convaincre sa direction et les Eglises, explique-t-elle. Interview.Vous quittez le poste de secrétaire romande de l’Entraide Protestante Suisse (EPER) après l’avoir occupé durant cinq ans. Ces années ont été marquées par la création de « permanences volantes » allant à la rencontre des sans-papiers, une approche novatrice en Suisse. Comment ces projets se sont-ils développés ?En 2002, le premier projet destiné aux sans-papiers a été lancé par l’EPER en Suisse romande, à Genève, parce qu’on y avait identifié un besoin : les personnes vivant clandestinement en Suisse ne fréquentaient pas les permanences syndicales, les polycliniques où elles auraient pu recevoir des soins, les structures offrant de l’aide pour leurs enfants, par peur de se faire remarquer et arrêter. Avec la collaboration d’une pasteure de l’Eglise méthodiste latino-américaine, nous avons pu mettre sur pied des « permanences volantes » pour aller dans cette Eglise rencontrer les sans-papiers, là où ils se rassemblent. L’idée d’aller chercher les personnes illégales là où elles se trouvent et de les orienter sur des questions de permis, de santé ou de prise en charge des enfants était nouvelle, et l’Etat de Genève soutient toujours ce projet. Nous avons pu montrer que ce travail apportait un plus, car les sans-papiers ont été beaucoup plus nombreux à fréquenter les syndicats, les services médicaux ou le planning familial. Dans la foulée, en juin dernier, une permanence dispensant des soins de base aux sans-papiers s’est ouverte à la Chaux-de-Fonds, une initiative lancée par l’EPER avec Médecins du Monde. L’Etat de Neuchâtel nous a soutenu financièrement, avec le Locle et La Chaux-de-Fonds, et en plaçant ce lieu à l’abri de contrôles. Mais la police du lieu a été plus réticente, nous accusant de soutenir l’illégalité. Etendre le mandat confié à l’EPER par la Fédération des Eglises protestantes de Suisse (FEPS), soit l’assistance des requérants d’asile, au groupe des sans-papiers allait-il de soi ?Non. Même si très peu de donateurs ont réagi négativement, il a fallu faire un important travail d’information et de lobby auprès de la FEPS, car la partie n’était pas gagnée d’avance auprès des Eglises qui nous financent. Finalement, elle a admis le point de vue de l’EPER, considérant que la présence des sans-papiers est une réalité sérieuse qui doit être réglée politiquement au plan européen et qu’au nom de nos valeurs, on ne peut ignorer. Même la direction zurichoise de l’EPER a dû être convaincue de la pertinence de notre démarche. Ce travail de pionnier en faveur des personnes illégales fut un succès du secrétariat romand, et aujourd’hui on se rend compte de son adéquation : dès le premier janvier, les personnes frappées de décision de non entrée en matière seront regroupées dans des centres d’aide d’urgence. Certaines vont disparaître et choisir de rester illégalement en Suisse. L’entrée en vigueur de la nouvelle loi sur le travail au noir pousse aussi des personnes en situation illégale, dont le paiement des assurances sociales était jusqu’alors géré par le système « chèque emploi » de l’EPER, à y renoncer, pour ne pas prendre le risque de se voir dénoncées.L’EPER a-t-elle d’autres projets pour répondre à ces besoins ?Dans le canton de Vaud, on pourrait lancer d’autres « permanences volantes » et un projet analogue démarre cette année en Argovie. Nous ferons aussi une étude des besoins des personnes passant à l’aide d’urgence, une aide en nature souvent insuffisante pour des familles dont les enfants sont encore scolarisés ou qui ont besoin de soins de santé. Avec le service d’aide juridique aux exilé-e-s (SAJE), nous prendrons certains cas exemplaires pour tenter d’obtenir des jugements définissant plus précisément leurs droits.Vous avez passé en tout douze ans à l’EPER ; quels sont les défis qui l’attendent ?Je suis préoccupée de voir que certains s’interrogent sur la nécessité de poursuivre son mandat d’aide humanitaire, alors que ce mandat représente 30 à 40% de son activité et qu’il nous permet de gagner des donateurs. De même, les réactions de la direction de certaines Eglises romandes posant la question de la légitimité du soutien à l’EPER, à l’heure où les ressources sont rares, me heurtent. Quel témoignage offre l’Eglise protestante, si elle n’agit plus envers les plus faibles d’entre nous ?