Eglises à transformer : les protestants ne ferment pas la porte aux musulmans

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Eglises à transformer : les protestants ne ferment pas la porte aux musulmans

10 mars 2008
L’érosion des fidèles conduit l’Eglise protestante à s’interroger sur l’avenir de ses bâtiments religieux
Ils peuvent sans problème devenir des dispensaires de rues ou des centres culturels, comme la chapelle des Terreaux à Lausanne. La transformation de temples en mosquées se heurterait aux réticences de communes, mais n’est pas exclu a priori. « Aucune demande en ce sens n’a toutefois été faite », rappelle le porte-parole de la Fédération des Eglises protestantes de Suisse (FEPS).Dans les villes suisses, l’érosion du nombre de membres des Eglises protestantes est importante. Actuellement, une Eglise cantonale de moyenne importance perd chaque année l’équivalent d’une paroisse, soit près de 2000 membres. Ces dix dernières années, l'Union synodale Berne-Jura-Soleure a perdu près de 92'000 membres, en dépit de la tradition protestante de la capitale helvétique. Même si les situations d’églises vendues ou réaffectées à un autre usage sont encore rares, la Fédération des Eglises protestantes de Suisse (FEPS) est consciente de la nécessité d’y réfléchir, à l’heure où des lieux de culte construits pour une communauté de 20'000 fidèles n’en accueillent plus que le 10%. Dans un ouvrage publié récemment , Markus Sahli et Matthias D. Wüthrich rappellent que, contrairement à la conception catholique, un temple n’est « saint » que dans la mesure où une communauté le sanctifie en s’y réunissant pour écouter la Parole de Dieu. « Là où cette raison n’existe plus, il faut détruire les églises, comme l’on détruit toute maison qui a perdu son utilité » : le Réformateur Martin Luther n’avait, on le voit, pas d’états d’âme.

La vente de temples protestants est rare en Suisse, et soumise à des conditions sévères. L’architecte qui a acheté le temple réformé Saint-Léonard à Saint-Gall a dû ainsi s’engager à céder à la paroisse la moitié du bénéfice en cas de revente dans les dix ans, à utiliser le bâtiment dans un but exclusivement culturel, à consulter le Conseil de paroisse s’il entend modifier cet usage et à mettre le baptistère de 1656 à disposition de la paroisse, sans contrepartie financière. L’Eglise réformée de Bâle-Ville préfère louer ses bâtiments surnuméraires à des communautés chrétiennes en quête de lieux de culte, comme l’Eglise orthodoxe serbe installée au temple Saint-Alban ou la communauté pentecôtiste qui occupe la Martinskirche. La paroisse réformée de Berne-Ville, bien que disposant également d’un patrimoine surdimensionné (infrastructure destinée à plus de 100'000 personnes, alors que la paroisse ne compte plus que 64'000 membres), juge « hors de question » de vendre un lieu de culte. Il en va de même dans le canton de Vaud, où les communes mettent les lieux de culte à disposition de l’Eglise réformée. La vente d’un temple y est actuellement « politiquement impensable », selon le pasteur Antoine Reymond, membre du Conseil synodal à plein temps.

Céder l’usage d’un temple à d’autres églises chrétiennes se fait plus facilement. Les membres du Conseil des Eglises chrétiennes dans le canton de Vaud sont autorisés à organiser des célébrations dans la cathédrale, avec l’accord de l’Eglise réformée, pour peu qu’elles aient lieu le samedi soir ou en semaine, le dimanche et les fêtes chrétiennes étant réservés aux cultes. Les recommandations de la FEPS soulignent qu’ « aucun motif sérieux ne peut être avancé, du point de vue protestant, pour renoncer à céder l’usage d’un temple à d’autres Eglises chrétiennes », et notamment aux Eglises de migrants qui peinent à trouver des lieux pour leurs célébrations. De même, un temple peut parfaitement se muer en centre de formation (cours, séminaires, colloques), en centre culturel (expositions, concerts, théâtre comme dans la chapelle des Terreaux à Lausanne) ou en centre de rencontre à vocation sociale (dispensaire de rue, soupes populaires), ces formes d’utilisation correspondant à des domaines d’engagement de l’Eglise.

La cession d’églises à d’autres cultes, comme en Angleterre où une église méthodiste a été transformée en mosquée, est un sujet sur lequel il est « plus difficile de se positionner », reconnaît l’étude. Une telle réaffectation brouille la perception du grand public, car la symbolique extérieure reste celle d’une église chrétienne, alors qu’elle abrite désormais des cérémonies vouées à un autre dieu, soulignent des directives de l’Eglise évangélique luthérienne unie d’Allemagne. L’étude de la FEPS se montre plus ouverte : « peut-on vraiment affirmer avec certitude qu’il ne peut en aucun cas s’agir du même Dieu se révélant sous une autre forme ? », s’interroge-t-elle en conclusion. « Nous ne fermons pas totalement la porte aux transformations d’un temple en mosquée, même s’il faudrait passer par un culte d’adieux dans ce cas pour prendre congé de ce qui s’y est vécu. », admet Simon Weber, porte-parole de la FEPS. « Nous pouvons toutefois en parler de cette façon parce qu’aucune demande en ce sens n’a été faite de la part des musulmans. Il ne faut toutefois pas sous-estimer les difficultés qu’un tel projet pourrait susciter dans les communes concernées », tempère-il. De son côté, la conférence des évêques suisses avait exclu, en juillet 2006, dans ses recommandations en cas de réaffectation d’églises et de centres ecclésiaux, la mise à disposition des églises et chapelles aux membres d’autres religions.