Barrage d’Ilisu : « La Turquie doit corriger le tir sans tarder »

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Barrage d’Ilisu : « La Turquie doit corriger le tir sans tarder »

27 mars 2008
Un rapport d’experts publié début mars révèle que la Turquie n’a pas respecté la plupart des exigences convenues lorsque la Suisse, l’Allemagne et l’Autriche ont garanti le financement du projet
La Déclaration de Berne exige que la Suisse jette l’éponge. « Si rien ne change, nous n’aurons plus de patience », avoue Christoph Sievers, directeur de l’assurance suisse contre les risques à l’exportation (SERV).« Le projet d’Ilisu est un fiasco » : Anne-Kathrin Glatz, de la Déclaration de Berne, résume ainsi les conclusions d’un rapport d’experts commandé par la Suisse, l’Allemagne et l’Autriche. Ces pays ont accordé en mars 2007 des assurances contre les risques à l’exportation pour le barrage d’Ilisu, en Turquie. Cette garantie permet à des entreprises suisses telles Alstom, Colenco, Maggia et Stucky de collaborer à cette construction, sans supporter les risques de paiement liés à l’instabilité politique ou économique du pays acheteur. Le Conseil fédéral a fixé cette garantie à hauteur de 225 millions de francs. Pour tenir compte des critiques des opposants, qui dénoncent la destruction du village historique d’Hasankeyf et la disparition d’un territoire où vivent près de 55'000 personnes, l’accord était assorti de 153 conditions portant sur la relocalisation des populations déplacées, les compensations écologiques pour la faune et la flore et la sauvegarde des monuments culturels importants. Le groupe international d’experts chargé d’examiner leur bonne application a surpris en rendant un rapport très négatif : la recherche de territoires de remplacement pour les paysans n’a pas commencé ; la consultation des populations concernées n’a pas pu se faire comme prévu ; les compensations versées sont inférieures au coût du terrain et des maisons expropriées, ne permettant pas d’acquérir un bien de remplacement ; les standards de la Banque mondiale, exigeant de ne pas tenir compte de la dévaluation du bien-fonds, ont été ignorés par les responsables turcs, et aucune possibilité de se plaindre n’existait pour les expropriés. Selon ce rapport, il faudrait repousser la construction du barrage de plusieurs années en raison des capacités manquantes à l’heure actuelle pour mener à bien un projet d’une telle complexité. Aucune mesure n’a été prise pour éviter l’appauvrissement de la population. La seule mise aux normes internationales en matière de relocalisation nécessiterait d’engager 200 personnes supplémentaires. Le rapport montre aussi l’état délabré des ponts, mosquées et tombes culturellement précieux du village d’Hasankeyf, que le gouvernement turc propose de déplacer sur une arrête. Il existe un réel doute sur la faisabilité d’un tel transport. En matière d’environnement, il manque encore des études sur les incidences écologiques du projet en matière de richesse de la flore et de la faune. Les stations d’épuration en construction ne sont pas aux normes.

La Déclaration de Berne estime que ce rapport rend officiel le « désastre » d’Ilisu ; par conséquent, la Suisse devrait se retirer immédiatement du projet. Alors qu’il tenait jusqu’ici des propos plutôt rassurants, le directeur de l’assurance suisse contre les risques à l’exportation (SERV), Christoph Sievers, durcit le ton : « Il faut maintenant que la Turquie corrige réellement le tir. Le projet a plus d’une année de retard et un nouveau délai est en train d’être fixé. Toutefois, je ne partage pas la vision de la Déclaration de Berne, dont le but des de stopper définitivement la construction du barrage d’Ilisu. Il faut une rupture très profonde des accords contractuels pour que la clause prévoyant une possible dénonciation des assurances contre les risques à l’exportation puisse être invoquée. En outre, pour décider d’invoquer cette clause il faut l’unanimité des trois pays contractants et pour le moment, cette décision n’a pas été prise », confirme-t-il. Les représentants des assurances contre les risques à l’exportation de la Suisse, de l’Allemagne et de l’Autriche souhaitent aborder le sujet dans les prochaines semaines à Ankara. « Cela sera possible si la Turquie persiste à ignorer ces conditions ».

Christoph Sievers confirme qu’il y a eu jusqu’ici quelque 300 expropriations incorrectes. « Les paysans qui ne sont pas susceptibles de pratiquer une autre activité devront être déplacés de leur lieu de vie pour retrouver un territoire équivalent. En outre, si l’on sait que le chômage dans la région touche entre 60 et 80% de la population, il ne sera pas possible de donner du travail à tout le monde. De plus, dans une région où de nombreux migrants sont venus et partis, il faut identifier ceux qui ont droit à être relogés et ceux qui ne l’ont pas ». Confiant s’agissant de la volonté de la Turquie de changer les choses, il souligne que «même si les trois pays retirent leurs garanties, cela ne signifie pas que la Turquie renoncera à cette construction». Avec le risque que les nouveaux investisseurs n’imposent aucune exigence sociale, culturelle et économique équivalente.