« Il faut donner une voix à l’islam dominant en Suisse »

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« Il faut donner une voix à l’islam dominant en Suisse »

3 avril 2008
Irrité par « la surreprésentation des arabophones dans les débats concernant les musulmans en Suisse », Bashkim Iseni, politologue et spécialiste des Balkans, estime qu’il faut faire entendre « la voix de l’islam majoritaire dans ce pays »
Son idée : un journal en français, allemand et albanais.« Le plus grand nombre de musulmans en Suisse parlent albanais et leur pratique de l’islam est plutôt de l’ordre culturel et symbolique » : Bashkim Iseni, docteur en sciences politiques et auteur d’une thèse sur l’identité nationale albanaise au Kosovo et en Macédoine, connaît bien l’évolution identitaire des jeunes musulmans originaires des Balkans en Suisse, pour l’avoir étudiée sur mandat de l’administration fédérale. Alors que la population musulmane vivant en Suisse est estimée à 350'000 personnes, Bashkim Iseni souligne qu’une majorité (220'000) serait albanophone, venue principalement du Kosovo, de Macédoine, de Serbie et du Monténégro. « Cette majorité, cependant, se fait très peu entendre dans les débats portant sur les musulmans en Suisse, qu’il s’agisse du port du voile, des minarets ou des règles religieuses. Je suis irrité par la surreprésentation des arabophones parmi les personnes qui sontles interlocuteurs musulmans des autorités et des médias. La vision des choses qui en résulte ne correspond pas à celle de l’islam dominant en Suisse, un islam très tolérant, qui doit ses origines à l’école juridique islamique hanéfite (héritage ottoman) et au bektachisme (principale confrérie de l’islam alévi, considéré comme hérétique par l’islam orthodoxe). Cet islam cohabite dans les Balkans avec le christianisme, qu’il soit catholique, orthodoxe ou, plus rarement, protestant, et a donc toute une faculté d’adaptation à la société suisse, encore majoritairement chrétienne. »

Alors que la communauté musulmane compte quelque 130 centres culturels ou lieux de prières en Suisse, les albanophones possèdent de 50 à 60 lieux de culte, « ce qui n’est pas énorme. J’ai pu me rendre compte, au cours de mon enquête, qu’ils étaient surtout fréquentés par des personnes âgées, un imam m’a même dit que ces centres devenaient des homes. La plupart du temps, les musulmans albanophones commencent à devenir pratiquants à partir de la cinquantaine. Cela peut s’expliquer par différents facteurs, comme le désir de s’assimiler et le refus de se distinguer, la crainte d’une certaine image négative de l’islam, ou la place prépondérante occupée par les valeurs nationales, qui prend plus d’importance que le facteur religieux », poursuit Bashkim Iseni. Les jeunes albanophones que l’on voit siroter des bières dans les cafés sont en voie de sédentarisation, ils ont acquis la nationalité suisse et envoient moins de fonds au pays. « Ils sont blessés lorsque la presse les interpelle en disant : « Indépendance du Kosovo : vont-ils rentrer chez eux ? », car ils se sentent chez eux en Suisse ».

Pour donner une voix à cette population, Bashkim Iseni lance l’idée d’un journal qui « comprendrait à la fois des jos_content en albanais, en français et en allemand, qui permettrait de faire connaître des personnalités nouvelles et serait un important facteur d’intégration. Il faut que les Albanais eux-mêmes posent le débat sur l’existence de la violence au sein de cette communauté, un débat à mettre en parallèle avec ses réussites dans les domaines économiques ou de l’éducation, de la manière la plus objective possible. Les Suisses sont peu informés et je suis systématiquement sollicité, il est temps de faire émerger d’autres traits d’union. Les imams de Berne ou de Wil jouent un rôle important à ce titre, en donnant par exemple des conseils aux policiers sur la manière de se présenter dans ces foyers. Il existe plusieurs quotidiens albanophones en Suisse, mais tous sont orientés sur le Kosovo même. Il y a certainement là une lacune à combler ».