Quand la transparence des coûts gagne les Eglises

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Quand la transparence des coûts gagne les Eglises

Samuel Ramuz
14 novembre 2011
A Neuchâtel, les services funèbres ne sont plus considérés d'intérêt public par l'Etat. Fragiles financièrement, les Eglises du canton réagissent. A Genève, l'Eglise protestante fait connaître le coût de ses prestations depuis 2003 déjà. De quoi crier à la privatisation des services ecclésiastiques ? Enquête.


Un défunt enterré sans autre forme de cérémonie : c'est l'image sombre que les Eglises neuchâteloises envoyaient à la population du canton fin septembre. A l'origine, la récente décision du Conseil d'Etat de ne plus reconnaître les services funèbres comme des prestations « d'intérêt général ». Des tractations sont en cours, mais le coût des cérémonies d'enterrement pourrait revenir aux trois Eglises reconnues par la Constitution. Et dans certains cas, in fine, aux familles des défunts.


« La collectivité accompagne les individus tout au long de leur vie. Sauf à la fin », tonne Cédric Pillonel, attaché de presse de l'Eglise catholique romaine à Neuchâtel. Dans les négociations avec l'Etat, sa hiérarchie plaidera pour une reconnaissance de l'accompagnement des personnes en fin de vie et des proches d'un défunt. « Sur le terrain, nos agents pastoraux sensibilisent déjà la population aux coûts de nos prestations », s'empresse-t-il de préciser. Les pasteurs réformés font de même. Ils n'ont pas le choix, dans un canton où l'impôt ecclésiastique est volontaire. Et rarement payé.

Tarifs d'un garagiste

L'Eglise protestante de Genève (EPG), elle, mise sur la transparence de ses coûts depuis 2003. Le régime de laïcité stricte que connaît le canton du bout du lac l'y contraint. « Nous vivons de dons », résume son directeur, Jean Biondina. Baptêmes, mariages, enterrements et même entretiens de catéchisme, tout acte pastoral a un coût. L'EPG l'a chiffré : 140 francs l'heure, équivalent aux tarifs d'un garagiste. Sur cette base, des fourchettes de prix ont été établies : de 10 à 15 heures de travail pastoral pour un service funèbre, jusqu'au double pour la préparation d'un mariage.

Si l'EPG a depuis adouci ses fourchettes, le calcul est vite fait et les ministres sont priés de le faire connaître aux « bénéficiaires ». Avec tout le tact possible. Dans les paroisses toutefois, certains hommes d'Eglise rechignent à distribuer ces documents explicatifs d'un genre particulier, incapables par exemple de tendre un bulletin de versement à la famille d'un défunt.

Reste qu'en 2009, les dons liés à des actes pastoraux se sont montés à 90 000 francs (sur un budget annuel de plus de 10 millions), dont environ deux tiers en lien avec un service funèbre. « Mais une proportion relativement faible de personnes fait un don à la suite d'un acte pastoral: de 15 à moins de 30% », détaille Alexandra Deruaz, responsable de la communication de l'EPG. Elle précise que l'institution envoie ces jours à l'ensemble des foyers protestants – plus de 70 000 personnes – un appel aux dons précisément consacré aux actes pastoraux.

« Déni public »

Le jeu de la transparence n'en vaudrait-il pas la chandelle pour les Eglises ? Pas sûr. Même dans les cantons où les liens entre Eglises et Etat sont plus forts, comme le Valais, on reconnaît que si l'Evangile est gratuit, l'Eglise, elle, a un coût. Du coup, l'Eglise réformée valaisanne ne transige pas avec le tourisme ecclésiastique extra-cantonal par exemple, fort dans la partie alémanique. Certains services y sont facturés jusqu'à 1200 francs. Cela dit, le principe « je paie ce que je consomme en fonction de mon revenu » déplaît à Philippe Genton, pasteur à Monthey. « Le cas neuchâtelois est un déni public », s'emporte le conseiller synodal.

Faut-il pour autant voir dans cette tendance à la privatisation une non-reconnaissance du rôle des Eglises par les pouvoirs publics ? Les Eglises massivement soutenues par l'Etat comme sur Vaud et Berne n'ont pas (encore?) à se poser la question. Le parlement de l'Eglise réformée fribourgeoise (EERF) a quant à lui voté début octobre la gratuité du baptême. Celle des services funèbres et des mariages devrait suivre dans le courant de l'automne. « L'institution harmonise ses pratiques », souffle son président Daniel de Roche. Elle peut se le permettre dans un canton où l'immigration protestante fait tinter les caisses de l'EERF.

A l'opposé, l'Eglise réformée neuchâteloise (EREN) se remet de la décision du Conseil d'Etat. Son président Gabriel Bader la qualifie de discriminatoire, mais ne s'en laisse pas conter. « Nous tenons à ce que personne ne soit dans l'impossibilité matérielle de payer un service funèbre », affirme le pasteur. Dans un projet encore en consultation auprès de la base, les services sociaux pourraient être impliqués. Toutes les familles protestantes endeuillées du canton devraient toutefois s'acquitter de leur contribution ecclésiastique. Pour les autres, la facture serait salée : 1500 francs le culte d'enterrement. Cercueil non compris.

Cet article a été publié dans :
Le quotidien fribourgeois La Liberté en décembre 2011.