L’initiative pour un salaire minimum: une question d’éthique

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L’initiative pour un salaire minimum: une question d’éthique

Anne-Sylvie Mariéthoz
16 mai 2014
La pastorale œcuménique dans le monde du travail (PMT) a organisé une soirée à Lausanne, dédiée à la thématique de la votation sur l’initiative «pour la protection de salaires équitables» (dite initiative sur les salaires minimums). Dans un débat où les églises protestante* et catholique ont renoncé à prendre position, les organisations actives sur ce terrain, telles que PMT ou Caritas, trouvent urgent de rappeler les réalités humaines qui se cachent derrière ces batailles de chiffres.

Photo: USS CC(by-nc-sa)

Il y avait peu de contradicteurs ce soir du 1er mai, dans l’assistance – quelques dizaines de personnes réunies à la salle de l’église Saint-Laurent à Lausanne. Plutôt des sympathisants, interpelés, mais parfois perplexes, tiraillés souvent entre exigences de justice sociale et craintes suscitées par les adversaires de l’initiative. Cette campagne fait l’objet de débats particulièrement vifs, notamment Outre-Sarine où cela se traduit aussi par des termes un peu plus tranchants. Ainsi, face au «stop dumping» brandi par les syndicats, le camp opposé parle d’autogoal et surtout de «diktat» de l’Etat, suggérant l’idée d’un contrôle excessif et tout à fait intempestif. Côté romand, c’est un «non au SMIC en Suisse» qui s’affiche, jouant sciemment sur la comparaison avec un modèle français guère encourageant.

«Comme s’il s’agissait d’une réalité abstraite»

Mais cette soirée n’avait justement pas pour but de refaire les débats entendus à la radio, où les intervenants s’affrontent à grands coups d’arguments économiques. Non, les organisateurs souhaitaient surtout ramener au centre de la discussion les hommes et les femmes concernés — ces dernières constituant plus des deux tiers des «bas salaires» — ainsi que les enjeux éthiques posés par cette initiative. Ces personnes sont les grandes oubliées de cette campagne, s’est notamment indigné le pasteur Pierre Farron qui au cours de son ministère, rencontre régulièrement des travailleurs et des travailleuses devant faire appel à l’aide sociale, faute de gagner suffisamment leur vie. Or dans cette campagne, «les intervenants de droite comme de gauche en parlent comme s’il s’agissait d’une réalité abstraite», constate le pasteur.

Le message du Conseil fédéral est symptomatique à cet égard, a relevé le théologien Pierre Bühler. Dans son livret explicatif (adressé aux citoyens en même temps que les bulletins de vote), il s’efforce d’expliquer que bas-salaire ne rime pas toujours avec pauvreté. Pour illustrer son propos, il cite des statistiques selon lesquelles environ «13% seulement» des personnes à bas salaire, vivraient au-dessous du seuil de pauvreté. Une façon «un peu choquante» d’évacuer le problème, dénonce le théologien. Surtout que ces personnes (plus de 300’000 tout de même!) sont à peu près sûres de voir leur situation se détériorer encore, pour se prolonger tout au long de leur vieillesse. Avec notre système de sécurité sociale, où les assurés constituent eux-mêmes leur prévoyance, les conséquences d’un bas salaire se prolongent tout au long de la vie, a souligné Pierre-Alain Praz, directeur de Caritas Vaud.

A l’Etat de soutenir les secteurs économiques en difficulté

Certes, la politique fiscale et sociale est censée compenser ces inégalités dans une certaine mesure, comme l’indique le message du Conseil fédéral. Mais n’est-ce pas là un détournement de l’aide sociale, questionne PMT? Et qu’en est-il de la dignité de ces personnes, obligées de vivre pauvres dans un pays riche, de demander l’aide sociale au lieu d’être autonomes? Toutes les entreprises ne peuvent pas se permettre de payer un salaire de 4000 francs à l’ensemble de leurs employés, argumentent les opposants – et notamment les microentreprises qui sont nombreuses dans notre pays. A l’Etat de trouver d’autres façons de soutenir les secteurs économiques en difficulté, mais pas sur le dos des employés, répondent les syndicats. Certains, comme GastroSuisse, en appellent au partenariat social et reprochent à ces derniers de vouloir imposer une solution uniforme (plutôt que négociée) dans tout le pays. Hypocrisie, rétorquent les syndicats, qui ont le sentiment de devoir arracher au forceps chaque convention – sans parler de l’extension de leur champ de validité. On peut effectivement interpréter cette initiative comme un aveu de faiblesse de leur part et comme un signe que ce fameux partenariat social est en panne, n particulier dans les secteurs les plus fragiles – hôtellerie, nettoyage, services à la personne – justement visés par cette initiative.

*«Le Conseil de la FEPS renonce à se prononcer sur l’initiative populaire “Pour la protection de salaires équitables (Initiative sur les salaires minimums)”. Il n’est pas parvenu à un consensus sur cette question.»

Prise de position du CSP-Vaud
Le centre social protestant vaudois a également pris position en faveur de cette initiative.
Dossier sur les bas salaires