Les communautés juives s’essaient à l’entraide missionnaire

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Les communautés juives s’essaient à l’entraide missionnaire

Lauren Markoe
20 janvier 2015
La mission ne fait pas partie de la tradition juive. Pourtant, certaines synagogues commencent à organiser des voyages d’entraide dans des pays défavorisés, le prosélytisme en moins.

Photo: Des missionnaires juifs à Haïti © RNS

(RNS-Protestinter)

Washington - La mission chrétienne s’étend au monde entier. Mais qu’en est-il de la mission juive? Certaines synagogues américaines commencent à organiser des visites congrégationnelle sdans des endroits défavorisés. «À une époque où les synagogues perdent des parts de marché et où les juifs «de la génération d’après» sont ambivalents par rapport à l’identification à leur religion, ce genre de missions d’entraide peut changer la donne», a déclaré le rabbin Sid Schwartz, le fondateur d’Adat Shalom, une synagogue reconstructionniste dans la banlieue de Bethesda, dans le Maryland.

Contrairement à de nombreux groupes chrétiens, les juifs ne croient pas au prosélytisme: ce n’est tout simplement pas dans leurs traditions religieuses. Mais les anciens attestent que les voyages missionnaires parrainés par la synagogue offrent un moyen pratique pour remplir l'obligation de «Tikkun olam», le terme hébreu qui signifie «guérir, réparer le monde», et qu’ils renforcent l’identité juive.

Sid Schwarz et vingt membres de sa congrégation sont rentrés en décembre dernier d'un voyage de dix jours en Haïti. C’est le troisième voyage de la congrégation en quatre ans à la périphérie de Port-au-Prince. Là, associés à un pasteur, ils ont utilisé leurs mains et leurs comptes bancaires pour construire des maisons et assurer les frais de scolarité pour des familles haïtiennes. Nombre d’entre elles vivent encore sous des bâches depuis le tremblement de terre dévastateur de 2010.

Sid Schwarz répertorie moins d'une poignée de synagogues qui ont fait un travail de mission similaire. L’une d’elles est celle du Temple Beth El à Hollywood, en Floride. Elle a organisé plus de dix voyages d’entraide missionnaire en Haïti depuis 2007 et elle est partie de nouveau pour l'île ce lundi 19 janvier. «Les chrétiens ont une tradition de l'œuvre missionnaire qui a pour but, en partie, de christianiser le monde. En tant que juifs, notre intérêt n’est pas de judaïser le monde», a présicé le rabbin Allan Tuffs de Beth El. Pourtant, «nous devons être là-bas.»

Des organisations d’entraide juives

Cela ne veut pas dire qu'il n'y a pas un grand nombre d'organisations d’entraide juives. Parmi elles, l'Organisation juive mondiale américainemondiale américaine (AJWS) qui s’est donné pour but de soutenir les droits de l’homme et de lutter contre la pauvreté ainsi que le Comité conjoint de distribution juif américain, le principal organisme d’entraide humanitaire juif au monde, actif dans plus de 70 pays et qui vient en aide aux non-juifs à l’étranger.

Les synagogues américaines organisent souvent des missions pour aider des communautés non-juives en difficulté aux Etats-Unis, ainsi que des communautés juives nécessiteuses en Europe de l'Est, en Israël, à Cuba et ailleurs. «Toutefois, une mission organisée par une synagogue en dehors du pays pour aider les non-juifs dans un endroit où les gens peuvent ne jamais avoir rencontré une personne juive, cela reste assez rare», explique Allan Tuffs

Depuis 2007, en partenariat avec la première Eglise presbytérienne de Hollywood, en Floride, la synagogue du Temple Beth El a maintenu et agrandi un orphelinat dans la périphérie de Port-au-Prince, tout en veillant sur les enfants. Dans la prochaine délégation se trouve un pédiatre de Beth El, qui examinera les enfants. Ses deux filles adolescentes l’accompagnent: elles ont fait don de l'argent qu'elles ont reçu lors de bat-mitzvah à l'orphelinat. Ces missions sont particulièrement bénéfiques pour les jeunes juifs, affirme Allan Tuffs. «Cela renforce l'idée qu’être juif».

Difficultés d’organiser des voyages

Alors pourquoi y a-t-il si peu de synagogues qui organisent ce genre voyages? «Ce n’est pas chose facile», a déclaré le rabbin Joel Soffin, à la tête de la synagogue du Temple Shalom, à Succasunna, dans le New Jersey. Il est allé régulièrement avec les membres de sa congrégation en Ethiopie, au Cambodge et dans d’autres pays défavorisés, au cours de ses 27 années. «Vous devez organiser les voyages, recueillir les fonds nécessaires et trouver des partenaires à l'étranger. En outre, les rabbins doivent aussi marier des couples, présider les funérailles et les cérémonies», explique Joel Soffin, en évoquant une vie épuisante qui totalise 100h de travail par semaine et très peu de temps pour les vacances.

Et les synagogues ne bénéficient pas de la même implantation en réseaux que les organisations missionnaires chrétiennes, qui reçoivent de l’aide leurs membres d’églises quand ils sont à l’étranger. Aaron Dorfman, le vice-président de l'AJWS pour les programmes nationaux, rejoint Joel Soffin sur les obstacles rencontrés par la mission d’entraide à l’étranger: «c’est très cher, et très compliqué de bien faire» a-t-il constaté. Jusqu'à récemment, l’organisation AJWS dirigeait le programme «Corps juif pour la paix»: des milliers de volontaires ont été envoyés seuls ou en groupe, pour des séjours de différentes durées, dans les endroits les plus démunis du monde. «L'organisation a réalisé que ses ressources lui permettaient d’en faire plus en passant par d’autres canaux», a ajouté Aaron Dorfman.

«Mais l’argent dépensé pour envoyer des Américains de la classe moyenne dans les régions défavorisées ne serait-il pas plus utile si on l’envoyait directement aux gens que l’on veut aider», se sont interrogé les membres de la synagogue Adat Shalom. «Oui, si votre engagement est à court terme, a reconnu Sid Schwarz. Mais les relations que la synagogue a construites en Haïti ont donné envie aux membres de la communauté de s’engager sur le long terme, financièrement mais aussi autrement».

L’importance de se déplacer

Jonny Jeune, natif d’Haïti et directeur de Grâce international, une organisation d’aide baptiste, a travaillé avec Adat Shalom sur l'île et a lui aussi entendu la question «pourquoi ne signent-ils pas juste un chèque?». Il est heureux que les membres de la congrégation viennent en Haïti. «C’est un grand geste pour les écoliers haïtiens que des personnes qu’ils ne connaissent pas et qui ne les ont jamais vus se déplacent jusqu’en Haïti pour les rencontrer. Il y a des gens dans le monde qui se soucient réellement des autres. Cela n’a pas de prix».

«En ce qui concerne les synagogues, il reste une question supplémentaire: le judaïsme enseigne que vous devez aider d’abord ceux qui vous sont les plus proches», a précisé Joel Soffin. Donc, la responsabilité première ne concerne-t-elle pas les juifs dans le besoin? Et le rabbin de répondre:«mais les personnes qui sont le plus dans le besoin, les suivent de très près».

Le judaïsme reconstructionniste

Le judaisme reconstructionniste est une des branches du judaïsme contemporain, à côté des courants orthodoxe, conservateur (Massorti) et réformé (ou libéral). Il a été créé par le rabbin Mordecai Kaplan, dans les années 1968. Il est surtout représenté aux Etats-Unis et au Canada. Outre l’importance des actions en faveur de la justice sociale et de l’environnement, ce courant fait de l’égalité hommes-femmes un principe de base. Les mariages mixtes et les mariages entre personnes de même sexe sont autorisés, et laissés à l’appréciation de chaque rabbin.

Bethesda est une ville résidentielle dans la banlieue de Washington, et sa population, formée à 80% de blancs, compte le pourcentage le plus haut de gens ayant fait des études universitaires avancées.