Ecologie: les leçons de Karlsruhe

Danseurs d’une communauté du Pacifique. L’art, parce qu’il est vecteur de messages et de valeurs, peut aussi être un outil de mobilisation écologique / © COE/Albin Hillert
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Danseurs d’une communauté du Pacifique. L’art, parce qu’il est vecteur de messages et de valeurs, peut aussi être un outil de mobilisation écologique
© COE/Albin Hillert

Ecologie: les leçons de Karlsruhe

ENGAGEMENTS
Des Fidji ou du Zimbabwe, de nombreux témoignages, ateliers et campagnes portant sur les défis écologiques et climatiques ont émergé lors de l’assemblée du COE. Au-delà des déclarations, sélection de quelques solutions concrètes.

Les liens humains sont fondamentaux pour inspirer l’action écologique: parce qu’ils sont une motivation puissante pour agir, mais aussi un soutien solide lorsqu’on se sent trop petit. Les représentants autochtones, comme la Panaméenne Jocabed Solano, membre du peuple kuna, ont ainsi plaidé à l’assemblée du Conseil œcuménique des Églises (COE) pour que les Églises des pays qui émettent le plus de gaz à effet de serre prennent le temps d’écouter les communautés du Sud, beaucoup plus touchées et de manières très diverses. Car se familiariser personnellement et intimement avec ces histoires permet de prendre conscience autrement de sa consommation.

UNE ÉCOUTE PROFONDE

Mais l’écoute est nécessaire aussi au sein de nos propres paroisses. C’est même un point de départ. «Les gens ont peur du changement: qu’il leur coûte quelque chose, qu’il limite leur vie, réduise leur existence», observe Hannah Fremont-Brown, jeune activiste pour le climat, membre de l’Église méthodiste britannique. «Or, en tant que personnes chrétiennes, nous devons être convaincues que le changement, lorsqu’il est réalisé en Dieu, nous bénéficiera positivement. A nous de commencer par écouter les gens, avant de leur dire quoi faire, de permettre aux craintes de s’exprimer. Il y a beaucoup de vulnérabilités à prendre en compte avant d’entamer la moindre action.» 

Miser sur la force de la communauté

La pratique du Talanoa, méthode de dialogue communautaire fréquente dans le Pacifique et basée sur le récit de l’histoire personnelle, est une piste pour permettre des transformations. 

A Tahiti, les actions pour l’environnement engagent toute la communauté protestante. Quand il a fallu lutter contre la construction d’un énième hôtel de luxe sur une plage de l’île de Moorea, l’Église maorie s’est mobilisée massivement. «Nous sommes venus à 3000 sur le site, y avons planté un arbre, et tressé symboliquement une immense corde», explique son président, le pasteur François Pihaatae. L’Église protestante, majoritaire à Tahiti, s’est associée à d’autres collectifs locaux dans ce combat.

La communauté constitue aussi un espace d’apprentissage. Dans le Pacifique, comme chez nous, réapprendre à cultiver ses légumes est un enjeu crucial. Mais dans l’Église tahitienne, pas de «groupe jardinage». «Pour cultiver un champ, on y va tous ensemble, jeunes et vieux. Par le travail commun, on transmet des connaissances, des savoir-faire, des savoir-être. Et la redistribution des fruits ou légumes se fait naturellement, y compris à travers des repas en commun. On n’a pas besoin d’un programme défini sur l’année: on fait simplement selon nos modes de vie traditionnels, qui nous rappellent que les solutions viendront de nous-mêmes», explique François Pihaatae.

Interpeller les personnes au pouvoir

«Speak up (Prends la parole)», demandent les jeunes méthodistes qui ont lancé la campagne mondiale CJ4A (Climate Justice for All, Justice climatique pour tous). Ils incitent notamment à s’adresser personnellement à une ou un décideur local ou mondial. Courrier, appel, échange… Plusieurs options sont possibles pour formuler une demande claire et concrète.

Ici aussi, la culture autochtone ouvre d’autres perspectives. «Dans le Pacifique, on n’interpelle pas que nos décideurs politiques. L’activisme des jeunes s’adresse aussi à nos responsables d’Églises et de communautés. On utilise notamment l’art, les chants, des danses pour capter leur attention et leur faire comprendre nos questionnements. L’art est un outil puissant de changement, parce qu’il peut porter des messages forts, et ouvrir un espace intergénérationnel où toutes les voix peuvent être entendues», explique ainsi Iemaima Vaai, jeune Fidjienne, représentante de la Conférence des Églises du Pacifique.

MILITER

Parmi les campagnes en cours, certaines sont propres au christianisme ou résonnent avec ses valeurs. 

Refuser les énergies fossiles

Le Traité de non-prolifération des énergies fossiles, cité par de nombreuses Églises comme une initiative juste et responsable, demande l’arrêt progressif de ces énergies.

> fossilfueltreaty.org

Plus de justice fiscale

La ZacTax, vous connaissez? Le terme vient du récit biblique de Zachée, ce collecteur d’impôts qui, converti au Christ, décide de rembourser au quadruple les personnes auxquelles il a extorqué de l’argent (Luc 19 : 8). Sur ce principe est née une campagne, portée notamment par les faîtières mondiales réformées, luthériennes et méthodistes, pour repenser la justice fiscale. L’initiative demande :

– Une taxe sur la richesse (1% pour tous les ménages possédant un patrimoine entre 1 et 5 millions d’euros, 2% à partir de 5 millions), pour financer des services de santé et d’éducation. 

– Une taxe carbone pour les entreprises et consommateurs, afin de financer les réparations et les adaptations nécessaires face au changement climatique. 

L’appel sollicite aussi une annulation de la dette des pays pauvres, mais ce n’est pas sa priorité. «Annuler la dette, c’est évidemment nécessaire, mais si le pays concerné se relance ensuite dans un cycle d’emprunts, c’est inutile! L’impôt est le nerf vital du développement économique d’un pays», insiste Suzanne Membé Matale, pasteure de l’Église méthodiste de Zambie, qui milite notamment contre les nombreuses violations des droits humains réalisées par les multinationales d’extraction minière. En 2024, les Églises aimeraient que ces idées soient reprises au sommet international sur la finance pour le développement. 

> zactax.com ou wcrc.ch/zactax 

Décarbonner les avoirs des Églises

«Cooler Earth, higher benefit». C’est le titre d’un rapport conséquent, coordonné par Frédérique Seidel, responsable du partenariat entre le COE et l’Unicef. Cette véritable Bible recense les initiatives entamées par vingt et une Églises ou institutions membres du COE (y compris le Conseil lui-même) pour désinvestir leurs fonds des secteurs fossiles. On trouve aussi des témoignages issus d’institutions onusiennes ou financières critiques, comme le Fonds souverain de Norvège. Et ces témoignages sont instructifs! Dans l’Église écossaise, le sujet, ouvert en 2019, a mené à un débat passionné et controversé. Dans un premier temps, il a été décidé de laisser les entreprises évoluer, tout en tentant de les influencer. Puis, en mai 2021, l’assemblée générale de l’Église d’Écosse est finalement parvenue à se défaire de tous ses investissements fossiles, après deux ans de transition. Le rôle joué par la jeunesse dans ce travail a été pleinement reconnu et salué. L’ouvrage compte aussi de nombreux conseils pratiques et concrets pour les institutions ou les particuliers. 

> re.fo/cooler 

Désobéir

De la désobéissance civile mais pacifique, prônée dans certaines situations par l’ONG interreligieuse GreenFaith, au contre-sommet organisé dans une paroisse catholique, les voix critiques demandant plus d’actions concrètes ont aussi porté et nourri cette assemblée. Le climat, lui non plus, n’échappe pas à la diversité!